Depuis nos 7 ans, et espérons-le, encore bien après que nos 77 ans soient passés, nous lisons et relisons Tintin, sans aucun doute LE grand responsable de notre intérêt pour la Bande Dessinée sous toutes ses formes. Il était grand temps que nous partagions cette passion ! Commençons par le commencement, même s’il fut longtemps banni de la liste des albums « officiels » de Tintin et Milou : Tintin au Pays des Soviets, la première aventure, le premier voyage de notre cher reporter du XXè Siècle et de son petit fox-terrier blanc.
1968 ? Oui, on devait être en 1968… même si mes souvenirs d’enfance sont forcément approximatifs. J’avais déjà lu la majorité des Tintin publiés, quand je fis la connaissance d’Alexandre, qui était dans ma classe, et qui me révéla l’existence d’un Tintin au Pays des Soviets que son oncle possédait. D’abord incrédule, puisque l’album ne figurait pas dans la « liste officielle » des Aventures de Tintin et Milou affichée au dos de mes albums (et que je parle d’une époque où il n’existait pour un tout jeune provincial aucune manière d’avoir accès à ce genre d’informations…), je ne fus convaincu de la réalité de ce véritable fantasme que quand je le tins entre mes mains fébriles…
La déception fut terrible. Ce livre me sembla une véritable horreur : mal dessiné, ne racontant rien de sensé, à mille lieues du glorieux personnage de Tintin que j’adorais… Je rendis l’album poussiéreux à Alexandre, sans d’ailleurs en avoir jamais soupçonné la valeur marchande. Et pendant des années, des décennies en fait, je ne relus pas Tintin au Pays des Soviets, tant avait été violente cette déception de lecteur, peut-être la première de ma vie.
Que dire aujourd’hui de cette première apparition du personnage le plus important de la BD franco-belge ? Que, à l’évidence, ses aventures à la découverte de l’horreur bolchévique restent toujours aussi illisibles ? C’est à peu près indiscutable, tant le récit est erratique, tant les péripéties en sont absurdes, tant les personnages manquent de la moindre consistance (j’allais dire profondeur, mais on n’en est même pas là…), et surtout tant il est impossible d’y prendre vraiment du plaisir, disons « au premier degré ».
Mais d’où vient ce livre si particulier, si différent de l’œuvre qui suivra ? A 18 ans, George Rémi – passionné de dessin depuis sa toute petite enfance et rêvant d’en faire son métier, mais également, et c’est important, scout catholique accompli et convaincu – a commencé à travailler au quotidien le XXè Siècle tout en bas de l’échelle, comme simple employé. Ayant réalisé, en parallèle avec ce travail qui l’ennuie, des travaux publicitaires, il attire l’attention de l’Abbé Wallez, patron du journal, qui va lui permettre de devenir reporter photographe et dessinateur, et qui, un peu plus tard, l’encouragera dans la création du personnage de Tintin… avec les conséquences que l’on sait. On peut dire que, sans Wallez, Tintin n’aurait sans doute pas existé ! L’influence du charismatique abbé, intellectuel anticonformiste mais également monarchiste convaincu, sur Hergé sera également déterminante pour une certaine orientation « politique » de Tintin, qui lui sera ensuite reprochée… En ce qui concerne la représentation à charge – peu nuancée, c’est le moins qu’on puisse dire – des Bolcheviks dans cette première œuvre d’Hergé, elle correspond pleinement à l’opinion de l’immense majorité des Belges (et des Français) à la fin des années 20 : dans Tintin au Pays des Soviets, Hergé n’a ni la volonté, ni le sentiment de « faire de la propagande », juste d’appuyer le récit des aventures fantaisistes de son nouveau héros dans un univers caricatural, propice à tous les délires.
Il faut donc lire Tintin au Pays des Soviets, parce que, au delà d’y assister à la naissance, même improbable, d’un mythe, le lecteur attentif pourra déjà noter le dynamisme, l’énergie du dessin du débutant qu’était encore Hergé. Parce que, au lieu de se lamenter sur le grand n’importe quoi auquel a recours Hergé pour tirer son héros de situations impossibles, on peut au contraire s’amuser du surréalisme absurde de ses inventions, du scaphandre qui traîne par hasard dans une cellule de prison à l’hélice taillée (deux fois) au canif dans un arbre, en passant par les balles en papier mâché du peloton d’exécution. Il ne faut pas non plus négliger la valeur « historique » de ce témoignage certes naïf (on sait que le jeune George Rémi était influencé par la propagande du milieu très conservateur dans lequel il vivait et travaillait, et qu’il n’avait aucune intention de transmettre un vigoureux message politique !), mais de première main, d’événements-clés dans l’histoire du XXème siècle…
Malgré sa piètre qualité « artistique », Tintin au Pays des Soviets est un livre important, dépassant aisément ses limites de roman-feuilleton populaire, commercial et très amateur. Il nous parle, comme ça sera le cas de la majorité des Aventures de Tintin et Milou qui suivront, du monde tel qu’il était, et tel qu’il était compris, perçu, à l’époque de sa création : il est une fenêtre qui reste ouverte sur notre passé, nous permettant d’en comprendre mieux les idéologies, ou tout simplement les idées. Ce faisant, il nous protège de la « réécriture » de l’histoire, un courant très en vogue aujourd’hui, tout en constituant un incontournable « récit des origines » de l’un des plus beaux personnages de fiction du XXème siècle : Tintin !
Eric Debarnot
Hergé était certes bien conservateur dans l’âme, mais comment ne pas voir plus de lucidité dans la dénonciation des abus criminels des bolcheviques quand on s’amuse à lire les discours lénifiants de tant d’intellectuels renommés qui se bercèrent d’illusions doucereuses malgré les crimes staliniens. Chargé de suffisance coloniale, Tintin au Congo pique « un peu » par contre…Une autre époque comme on dit.
On est bien d’accord. Pour Tintin au Congo, c’est mon ami Stéphane, un grand amoureux de l’Afrique, qui doit s’en charger… On va voir ce qu’il en fait !
il y a eu les colonies c’était comme l’on dit une autre époque alors je ne juge pas,
j’ai 75 ans et la chance exceptionnelle de posseder 3 tintin de mon père l’album, Congo,le crabe aux pinces d’or, aux pays de l’or noir