Même s’il avait indiscutablement, à l’époque de sa sortie, indiqué un retour aux affaires d’un Bowie égaré depuis un bon moment dans des choses dispensables, Black Tie White Noise n’est qu’une demi réussite. Qui contient donc plusieurs titres sur lesquels il est intéressant de se repencher…
Au début des années 90, après deux périodes de création, l’une mythique, l’autre miteuse, Bowie tente de relever le niveau d’une discographie revisitée lors de la tournée rétrospective Sound and Vision. « Je n’aurais rien dû enregistrer entre Scary Monsters et Black Tie White Noise. C’est dur à admettre, mais il faut être réaliste : depuis dix ans, je n’ai pas été à la hauteur » avouait-il même à l’époque… Avide de renouveau, aux côtés de Niles Rodgers, l’alchimiste cool de Let’s Dance, le chanteur sort enfin du « tunnel has been » avec Black Tie White Noise, album cuivré, éclectique et BANCAL…
D’emblée, la pochette donne le ton avec un visage très proche, naturel (un peu vieilli, donc…) et tellement humain, loin des poses, des masques et des artifices antérieurs. Black Tie White Noise est peut-être le disque de Bowie le plus explicite et direct dans sa dimension personnelle. A la quarantaine, il quitte sa jeunesse – comme « on rend les clés de l’appartement » selon son expression – pour une nouvelle vie. Sous l’emprise de son coup de foudre pour Iman Abdulmajid, l’épouse qui aima toujours plus son David intime que l’idole adulée, Bowie évoque son mariage récent dans quatre chansons (Wedding I et II, Miracle Goodnight, Don’t Let Me Down & Down), dont certaines furent même jouées lors de ses noces florentines… La classe quand même… Quant à Jump They Say, Bowie y évoque à mots couverts sur un rythme dansant le suicide de son demi-frère Terry en 1985, figure familiale et initiatrice de son adolescence, en déclarant alors : « C’est la première fois que je me sens capable d’y répondre… ». David Jones s’offre donc un album pour faire le point sur une existence bien remplie en ombres et lumières. Oui, si Black Tie White Noise n’est pas le disque le plus mémorable de sa carrière, c’est à l’évidence le plus sincère et le moins (dis)simulé.
Bowie tente également d’achever sa traversée du désert avec cet opus enregistré sur une longue période entre Montreux, Los Angeles et New York, qui réunit de vieilles connaissances (Garson, Gabrels et Ronson, très malade) et des “petits” nouveaux : le trompettiste Lester Bowie croise le cuivre avec le saxophone de Bowie en particulier sur l’instrumental Looking for Lester, tandis qu’Arturo Chico O FarriIl ajoute sa patte jazzy. L’album compte douze chansons couvrant une grande variété expérimentale de styles musicaux, du rock, de l’électronique et de la soul aux influences jazz, pop et hip-hop. Il fait aussi une part belle à la musique noire, à l’instar de Young Americans : il faut savourer l’interview de 1983 où Bowie taquinait très ironiquement Mark Goodman de MTV sur l’absence de musiciens noirs sur sa chaine… un instant délectable de cruauté… Le recours à Niles Rodgers est donc cohérent dans cette démarche, mais les deux complices ne s’entendirent pas sur la suite à donner à Let’s Dance : le leader de Chic parla d’un “exercice futile” alors que Bowie se faisait simplement plaisir. Donnons raison à Rodgers tant une impression de superficialité se dégage à l’écoute de certains titres, qui ont pris par ailleurs un méchant coup de vieux : Bowie brouillonne son come back.
L’album s’ouvre sur The Wedding Song, un instrumental entrainant et ambient, et deux reprises de Cream et Tin Machine passées à la moulinette d’un son nouveau très affirmé : un trio inaugural qui sonne bien dans l’air du temps ! Puis vient la chanson éponyme, qui cite au passage Marvin Gaye (Whats Going On) sur les tensions interraciales, et avec la participation Al B. Sure !, pour conclure ensemble: « il y aura du sang sans aucun doute, mais nous devrions nous en sortir. » Le clip a quelque chose de factice avec un Bowie en costume et foulard jouant du saxophone dans un ghetto en feu avec son acolyte rappeur… Les spectaculaires et meurtrières émeutes de Los Angeles, suite à l’acquittement des policiers coupables du lynchage de Rodney King en 1992, qui obligèrent les jeunes mariés – peaux noire et blanche – à se confiner dans leur hôtel, n’ont pas manqué d’influencer cet opus jusque dans son titre, bien choisi d’ailleurs, évocateur d’un métissage amoureux et musical.
Ensuite, c’est le moment intense du triptyque Jump They Say, Nites Flights, Pallas Athena, trois chansons qui passent l’épreuve du temps plus aisément que les autres titres. D’abord, Jump They Say est une sorte de danse macabre – hallucinations et suicide –, un rock électronique portant la voix d’un Bowie très angoissé. Vient ensuite une reprise de son chanteur favori, Scott Walker – lui même sous le charme de l’album « Heroes” à l’époque de la composition de Nites Flights – qui calme tout le monde : tel le feu sous la glace, Bowie prend les commandes du vol et chante avec une intensité réelle sur une musique héroïque. C’est trop bon ! Entouré par deux titres de bonne facture, c’est le joyau de l’album. Pallas Athena est un autre morceau de bravoure, une incantation électronique très réussie, une prière où la voix de Bowie gronde le nom de Dieu sur des chœurs dignes d’African Night Flight et une rythmique endiablée. L’album aurait pu s’arrêter là….
Car la suite se fait plus légère et désinvolte, avec des chansons anodines et sans panache. J’imagine quelquefois les remplacer par certains titres du confidentiel et expérimental Buddha of Suburbia sorti aussi en 93 : cela aurait fait un sacré disque… mais la réalité est tout autre. Une belle occasion manquée ! Il faut donc se contenter de gentilles comptines et d’une assommante reprise de Morrissey où Bowie en fait des tonnes, bien loin de la finesse du Moz : l’écoute de la version originale est bien cruelle en comparaison ! Et puis c’est un retour de Wedding – à la manière de Its No Game I et II sur Scary Monsters – où Bowie chante l’Ange de sa vie en robe de mariée sous la caresse de voix féminines et d’une ligne de basse dans un final sympathique et enjoué.
A l’époque, Black Tie White Noise réveilla l’intérêt des critiques et du public pour Bowie dont certains avaient perdu la trace dans ses errances hasardeuses. Les fans furent aussi inondés d’une flopée de remixes, de bonus (est-ce vraiment le mot qui convient en l’occurrence avec les très dispensables Lucy Can’t Dance et Real Cool World ?). La promo US de l’album fut aussi sabordée par la faillite du label Savage Records : encore une occasion manquée…. qu’un DVD tenta de corriger en offrant Bowie chantant quelques titres en playback entrecoupant une interview : à quoi bon ? En dépit de cet acharnement marketing peu convaincant, l’album originel témoigne d’un retour de flamme fugace avant l’incandescence du brasier Outside… mais c’est une autre histoire !
Post-scriptum :
Signe des temps, Bowie ne se cache plus en interview. Pour le journaliste Jean-Daniel Beauvallet des Inrockuptibles, c’est une énorme surprise car il ne s’attend pas à ce que Bowie se livre « avec une telle absence de garde-fou, de langue de bois » : il faut lire cette magnifique interview donné au magazine les Inrockuptibles, dans laquelle Bowie se livre sur sa jeunesse et son parcours… “C’était l’art ou rien”, Londres en juin 1993, les Inrockuptibles.
Amaury de Lauzanne
Ca a été mon premier CD de Bowie, et même si j’étais content de l’avoir, cet album est infect.
Ne nous laissons pas berner par l’intro plutôt flatteuse, la chronique dit très bien à quel point la seconde partie est un flop absolu- qui met Morrissey en bonne compagnie avec John Lennon et les Stones. Bowie se laisse aller à ses travers habituels (en gros, il est content de lui) et ça donne un album jamais vraiment sûr de sa direction.
Quant au morceau-titre et son sujet brûlant, le racisme, il ferait passer « Ebony and ivory » pour du Shakespeare. Je n’ai pas vu le clip depuis longtemps (si je l’ai jamais vu) mais les paroles font froid dans le dos. Quand les paroles d’un morceau anti-raciste sont encore plus cringe que le racisme, on sent qu’il y a du souci à se faire. L’interplay entre les voix de Bowie et Al B Sure! (ex de The System, « Don’t disturb this groove ») est pas mal géré mais que c’est factice et à côté de la plaque!
Si Bowie a tenté de faire un « Let’s dance » ou « Young americans » bis, il a foiré car il y manque un élément- les chansons. Ensuite bien sûr il y a le public de 1993, moins facile à choper que celui de 1975 et 1983. Finalement « BTWN » est plus une séquelle de « Lodger » sans doute.
A éviter.