Soirée très attendue hier à la Maro : les disciples néerlandais de Jimmy Diamond croisaient le fer avec le vétéran célébré de l’Americana, Israel Nash, devant une foule largement convaincue à l’avance par la démarche « classiquement » US de leur star. On vous raconte, sans éviter la polémique potentielle…
Là, on va avoir droit à de la polémique, c’est garanti. Car, à la fin du long (1h45) concert d’Israel Nash à la Maro, la salle – très bien remplie, quasiment pleine, ce qui faisait plaisir à voir – était clairement divisée en deux camps qui auraient pu en venir aux mains si tout le monde n’avait pas été pressé de rentrer chez soi : ceux qui avaient « vu la lumière » et ceux qui s’étaient doucement ennuyés… Mais revenons près de trois heures en arrière.
Il est 20 heures quand le trio néerlandais de Jimmy Diamond monte sur une scène très encombrée de matériel : le leader du groupe, Jim Zwinselman, est confiné sur la droite de la scène, séparé du bassiste et du batteur, ce qui, clairement, ne facilite pas la cohésion du groupe, et ce d’autant qu’on comprendra (ou croira comprendre…) que le batteur est nouveau et que c’est son premier concert ce soir avec Jimmy Diamond. Mais ce problème « logistique » ne va pas empêcher le groupe de contenter un public de fans de l’Americana qui, pour la plupart, le découvrent ce soir, grâce en particulier à la virtuosité de Jim, à la guitare et surtout à la pedal steel, qu’il maîtrise superbement.
On pouvait trouver que l’album You Radiate manquait de ce petit quelque chose qui lui permette de transcender un « genre » aussi parfaitement exécuté : ce défaut est corrigé sur scène, comme on s’y attendait, par une énergie bien plus évidente que sur le disque. Et puis, il faut le reconnaître, en quarante minutes, et avec les six meilleurs titres de l’album (dont You Radiate, So Do I, Chase The Moon…) et deux chansons plus anciennes, nous avons eu droit à une sorte de « concentré » d’une musique qui semble beaucoup plus « diluée » sur disque. La salle apprécie largement cette prestation très « fraîche » d’un groupe qui « se rêve américain » avec une vraie classe, même si, une fois encore, on reste sur l’impression que les chansons ne sont pas aussi bonnes qu’elles devraient l’être : un excellent groupe qui manque donc d’inspiration, tel serait notre verdict, sur lequel nous aimerions revenir la prochaine fois que nous les verrons.
Les choses vont être bien plus compliquées avec Israel Nash, dont le groupe attaque le set à 21h10. On écrit « le groupe » car on a affaire à une sorte de mise en scène et de montée en puissance progressive de la musique avant qu’Israel entre enfin sur scène : ça sent le « professionnalisme » et c’est évidemment très US. Israel a pris, comme nous tous, un petit coup de vieux, mais comme il a fièrement affiché un aigle – symbole de la puissance US, non ? – au fond de la scène, et comme la salle est à moitié remplie de fans hardcore qui sont déjà en transe avant qu’il ait commencé à chanter, tout va forcément bien se passer !
On attaque très fort avec l’excellent Can’t Stop qui ouvre le nouvel album, Ozarker, ce qui nous permet d’apprécier immédiatement l’excellence du groupe que nous avons devant nous, aidé par un son impeccable (la voix d’Israel, un peu en retrait au début, sera rapidement mise en valeur…) : tous les regards se tournent déjà vers le guitariste soliste, sur la droite de la scène, dont les interventions vont littéralement enchanter plusieurs morceaux. Sinon, on repère très vite aussi ce qui va nous poser problème au fur et à mesure que le set va se dérouler : avec tous les potentiomètres émotionnels dans le rouge dès le début, tout ça manque de la subtilité qu’on trouve sur l’album, et on est bel et bien dans une musique très US, très sûre d’elle, très démonstrative. Comme si l’intensité – acclamée par les fans qui ont, répétons-le, déliré pendant tout le set – se suffisait à elle-même, et dispensait Nash d’aller explorer d’autres territoires, d’aller exprimer d’autres sentiments. La comparaison avec Tom Petty, rappelée par un ami qui a eu la chance de le voir lors de son dernier passage à Paris, est particulièrement douloureuse : fondamentalement, on est dans une musique très proche de celle de Petty, une sorte de Rock / Country / FM, avec des racines ancrées dans le passé et la culture américaine sudiste et californienne, mais on a ici l’impression d’un rouleau compresseur qui uniformise tout, chanson après chanson. C’est ainsi par exemple que les beaux accents soul de la voix de Nash sur ses albums disparaissent au milieu du tourbillon « classic rock » qui engloutit tout.
Ce qui ne veut pas dire, bien entendu, que le concert n’aura pas ses très beaux moments : les « Sha La La La » de Ozarker, l’énergie de Shadowland, la beauté de Baltimore, et puis, bien entendu, en rappel, la force magnifique de Rain Plans, couronnée de parties de guitares superlatives, qui risque bien de rester longtemps la plus belle chanson qu’Israel Nash ait écrite. Mais nous avons eu droit également à pas mal de choses pénibles, comme les discours plutôt sentencieux de Nash sur la nécessité de raconter des histoires, sur la manière de se reconstruire après un échec, sur la force du rassemblement universel autour de la musique, et bien entendu, sur la souffrance des vétérans abandonnés par le pays pour lequel ils se sont sacrifiés (en loooongue introduction de Lost In America) : tous des sujets qui ne peuvent susciter que notre adhésion, mais qui nous sont assénés avec les certitudes d’un prédicateur. Comme quoi, nul ne se détache jamais de ses racines !
La polémique peut donc faire rage, entre ceux qui comme nous regrettent un concert ayant gommé toutes les subtilités des disques, et ceux qui ont vécu cette heure quarante-cinq comme une épiphanie, une célébration débridée de la puissance de l’Americana. Qui a raison ? Qui a tort ? Personne et tout le monde sans doute, ce sera juste là une question de sensibilité personnelle.
Texte et photos : Eric Debarnot