Prépublié dans le Petit Vingtième en 1930 et 1931, Tintin au Congo ne sortira en album qu’en 1946, et est aujourd’hui l’Aventure de Tintin la plus datée et controversée. Malgré les limites de cette œuvre de jeunesse, Hergé s’est battu pour qu’elle reste éditée… Qu’en penser aujourd’hui ?
Je n’avais pas relu Tintin au Congo depuis des lustres ; j’en gardais un souvenir embarrassé. Pourtant, ne lui devais-je pas mes premiers souvenirs de lecture ? J’avais 5 ans. J’ai conservé, passablement défraichi, l’exemplaire de mon enfance. J’ai parcouru des centaines de fois les premières pages. Je n’ai qu’à fermer les yeux pour retrouver l’extraordinaire lutte de Milou, le héros de mon enfance, et du perroquet. Je dois à l’album, pêle-mêle, ma découverte de la superstition (« Sept ans de malheur » pour un miroir brisé, page 1) ; de la difficulté de la langue française (la psittacose, page 3) ; puis de la notion de proverbe (« Rira bien qui rira le dernier », page 9). Enfant, j’ai souvent lancé cette formule pour tenter de me venger, à distance, de mes tourmenteurs.
Revenons à sa genèse. Nous sommes en 1931, Hergé n’a que 24 ans. Pour son deuxième album, il souhaite envoyer Tintin en Amérique. Hélas, son patron, le très conservateur abbé Wallez, l’expédie au Congo belge. Sa mission ? Après avoir dénoncé les méfaits du communisme, il suscitera des vocations pour les colonies : « Le Congo a besoin de vous ! »
Les progrès du dessinateur sont rapides. Les décors sont simples mais crédibles. Les modèles des costumes traditionnels, fétiches et autres masques sont tirés des riches collections du Musée colonial de Tervueren. Le petit train ne fait pas honneur à l’industrie belge. En revanche, les animaux sont très réussis et toujours expressifs. Hergé reconnaîtra s’être inspiré de Benjamin Rabier, l’inspirateur de La Vache qui rit.
Avouons que le scénario est, peu ou prou, inexistant. Non seulement Hergé improvise son histoire, mais elle souffre de la faiblesse des seconds rôles. Coco aurait mérité un développement plus important. Tintin visite le pays, chasse et est pris à partie. Ce « premier » Tintin n’est guère étouffé par sa conscience écologique : il tue pour se nourrir, se défendre ou pour un simple trophée. Entre deux excursions, Tintin joue les redresseurs de torts. L’opposition, un maffieux américain et un sorcier jaloux, est faible. Il prend néanmoins des coups et doit la vie à l’intervention de Milou et, plus agaçant, à une succession de coups de chance. Tintin au Congo assume un ton parodique qui lui interdit toute recherche de vraisemblance.
Nous ne verrons pas grand-chose de l’Afrique, des conditions de vie locales ou des inégalités sociales. Hergé semble plus attiré par la faune, avec la lutte entre Milou et le perroquet, puis contre le requin, les fauves ou l’éléphant. Milou est, tour à tour, audacieux, imprudent, matamore ou ironique. Commentant les faits et gestes du trop sage Tintin, il apporte une indispensable touche d’humour.
Mais l’album pèche avant tout par sa représentation des Congolais, uniformément représentés comme naïfs et nonchalants. Les malheureux s’expriment dans un français maladroit, sont bizarrement accoutrés et obéissent sans rechigner à Tintin ou au missionnaire. Cette vision d’un Africain « enfantin » légitime le projet colonial, elle fait l’impasse sur la brutalité de la conquête et l’avidité des colons, mais correspond aux préjugés raciaux de l’époque. Hergé n’a jamais été au Congo.
Ce malaise n’est pas nouveau. Contrairement à l’indéfendable Tintin au pays des Soviets, Hergé obtint d’un Casterman réticent la réédition de l’album au début des années 1970. L’homme mûr assumait ses erreurs de jeunesse. Sans doute faut-il y voir une dénonciation, par l’absurde, des méfaits de la colonisation.
Stéphane de Boysson
Merci
Commentaire vraiment interessant et sans faux semblant.