« Scintillation », de John Burnside : la cité des enfants perdus

Dans son livre Scintillation, réédité dans la collection Suites des éditions Métailié, l’Ecossais John Burnside détourne les codes du thriller et nous plonge dans un étrange roman noir, brumeux et malsain, où le mystère est autant métaphysique que criminel. Un chef d’œuvre à redécouvrir absolument.

BURNSIDE John
© Hannah Assouline

Pour lire et apprécier Scintillation, il faut accepter de plonger dans un univers inquiétant et trouble, où tout se dérobe à mesure que l’on avance dans un récit polyphonique qui ne cesse de nous surprendre. L’intrigue se déroule dans un lieu étrange, l’Intraville, cité à l’abandon, à l’ombre d’une usine désaffectée d’où s’échappent encore des substances qui semblent tout polluer, tout infecter, tout salir : la terre aussi bien que les hommes et les femmes qui vivent là. Pourtant, c’est au milieu de ces ruines que Morrisson, policier à l’Intraville, cultive un étrange jardin, sorte de mausolée à la mémoire des enfants disparus. Car si personne ne semble pouvoir quitter ou fuir l’Intraville, plusieurs jeunes garçons ont disparu. Certains prétendent qu’ils ont réussi à fuguer mais personne n’y croit vraiment. Morrison, lui, connaît la vérité, même partielle : quelqu’un ou quelque chose erre parmi les arbres noircis et squelettiques qui ceinturent ce lieu maudit et les enfants perdus ne reviendront jamais.

scintillationLeonard, qui était ami avec l’un d’entre eux, le sait lui aussi – du moins il le pressent. Pourtant il essaie tant bien que mal de grandir, entre une mère absente et un père malade. Son refuge : les livres qu’il emprunte à la petite bibliothèque du coin. Autour de lui gravitent plusieurs adolescents : la belle Elspeth dans les bras de laquelle il essaie d’échapper au désespoir ambiant ; mais aussi Jimmy et sa bande qui vont bientôt l’entraîner dans une spirale de violence.

Ainsi résumé, Scintillation semble être un roman d’initiation mâtiné de thriller. Ce qui n’est pas faux. Mais dès les premières lignes, on pressent que Burnside va nous emmener dans des territoires étranges, mystérieux, insondables. Aux brusques changements de la narration, il faut ajouter les multiples digressions descriptives, d’une grande beauté tant l’écriture lyrique de Burnside excelle dans l’art de dévoiler les lieux, les paysages, mais aussi ces êtres qui composent une galerie de personnages assez fascinante.

Au-delà de son intrigue, Scintillation impressionne par sa capacité à restituer une atmosphère à la fois incroyablement réaliste et pourtant d’une grande étrangeté. Car l’Intraville, ville à l’abandon, polluée, salie par la veulerie et l’égoïsme des hommes, est un lieu dont la dimension symbolique s’impose dès les premières pages.

Ajoutons enfin que le roman de John Burnside produit sur le lecteur qui accepte de s’y aventurer une foule d’émotions, parfois contradictoires. Dans un court texte qui accompagne de cette très belle réédition, l’éditrice Anne Marie Métailié présente Scintillation comme un « objet littéraire parfait, un globe noir et brillant ». On ne saurait dire mieux : tenter de mettre des mots sur l’expérience de lecture qui constitue Scintillation ne peut que s’apparenter à une quête d’antithèses ou d’oxymores, nécessairement insuffisants pour restituer les émotions provoquées par ce chef d’œuvre qu’il convient absolument de (re)découvrir.

Grégory Seyer

Scintillation
Roman de John Burnside
Traduit de l’anglais (Écosse) par Catherine Richard
Éditeur : Métailié, collection « Suites »
288 pages – 11,50 €
Parution : 19 janvier 2024

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