Après un premier film au tournage chaotique, la route de Scorsese passe par la Série B. Un cadre dans lequel le cinéaste peine à trouver ses marques.
Pour Scorsese, le second coup d’essai va passer par Roger Corman. Oui, le type que Tarantino a fait applaudir par les personnes présentes l’an dernier à la cérémonie de clôture cannoise sans que la majorité d’entre elles ne sache probablement qui il était. Corman, c’est entre autres des adaptations de Poe réputées. Mais aussi un producteur de Série B qui donna ses chances au cours de sa carrière à Francis Ford Coppola, Jonathan Demme, John Sayles, James Cameron… Corman souhaitait alors surfer sur le succès de son propre Bloody Mamma, film de gangsters inspiré de la vie de la mythique criminelle de la Grande Dépression Ma Baker. Un film de gangsters exploitant le succès de Bonnie and Clyde avec parmi les seconds rôles… Robert De Niro. Corman embauche le Newyorkais pour Bertha Boxcar, libre d’adaptation de Sister of the Road (pseudo-autobiographie du personnage fictif Bertha Thompson).
Cette fois, ce n’est plus Scorsese au scénario mais un couple de scénaristes de métier, les Corrington. Pour un projet qui symbolise le système Corman : peu de moyens, une liberté accordée aux cinéastes à condition que le film ait son quota de sexe et de violence. Le pitch ? Durant la Grande Dépression, le père de Bertha Thompson (Barbara Hershey) meurt accidentellement, une mort provoquée par un employeur tyrannique. Seule, sans toit ni travail, elle s’engage dans une vie nomade, et utilise les wagons des trains de marchandises comme moyen de déplacement. Elle croise la route du syndicaliste Bill Shelly (David Carradine). Ils vont mener une vie de hors la loi.
Pas la peine de faire durer le suspense : l’essai n’est pas encore transformé par Scorsese. Le film a certes une exigence formelle élevée par rapport au cinéma d’exploitation américain des années 1970. La photographie est soignée pour un film de ce type et les scènes de sexe n’ont plus la pose formelle de celles « rajoutées » pour permettre la sortie salles de son film précédent. Scorsese sombre en revanche dans la gratuité lorsqu’il tente des ruptures formelles lorgnant vers la Nouvelle Vague ou passe de la couleur au NB en début de film. La fin révèle de plus qu’il n’a pas encore digéré l’influence de Peckinpah. L’utilisation du Blues lorsqu’un personnage tente d’empêcher Bertha de s’évader un train ou sur un travelling suivant Bertha qui traîne devant un cinéma annonce, en moins brillant que plus tard, le travail de montage sonore chez le cinéaste. Barbara Hershey, alors en couple avec Carradine, brille ici par son naturel face caméra. S’il n’a pas encore les capacités d’acteur de composition dont il fera preuve plus tard, Carradine est déjà charismatique.
Le film vaut pour son tableau d’un « système » mettant dans le même sac les « niggaz », les marginaux et le « péril rouge ». Une « menace rouge » effrayant même les syndicats. Le film rappelle également ce qu’étaient le style d’écriture des dialogues et la diction des acteurs dans le cinéma d’exploitation US de l’époque. Deux éléments concourant à leur charme qui se retrouveront en partie chez Tarantino et Rodriguez. Autre plaisir cinéphile : la présence de Victor Argo, une « gueule » que les cinéphiles auront du plaisir à croiser de nouveau plus tard chez Scorsese… et chez des cinéastes tels que Allen, Ferrara, Tony Scott, Gray et Jarmusch… Très souvent dans des films se déroulant dans La Grosse Pomme ! La présence au casting d’Emeric Pressburger rappelle l’affection de Scorsese pour les classiques co-réalisés par ce dernier et par Michael Powell. Tandis que, lorsque Bertha rentre dans un bar fréquenté par des Noirs et y retrouve un ancien acolyte, le mot Pabst (réalisateur du classique muet Loulou, rôle emblématique de Louise Brooks) scintille. Le problème principal du film est que son scénario n’offrait que peu de marge de manœuvre pour la réappropriation, le détournement de cahiers des charges.
Au visionnage d’un montage provisoire du film, Cassavetes, devenu mentor du cinéaste, déclarera que Scorsese avait le potentiel pour faire mieux à condition de se détourner du grand public. Sa troisième tentative sera justement celle de l’éclosion en tant que cinéaste. A noter que ce second film connaîtra, lui, une exploitation en salles en France un peu plus d’un an après sa sortie dans les salles américaines.
Ordell Robbie