On ne connaît pas encore Kei Ishikawa en Occident mais son brillantissime A Man risque bien de changer la donne, de par la manière remarquable dont il s’inscrit dans une tradition du cinéma nippon classique tout en proposant une forme et des sujets totalement modernes. A ne pas manquer !
Le titre original de A Man est Aru otoko, ce qui signifie plutôt « Un certain homme » : il s’agit d’introduire une notion d’identification, donc d’identité, qui est absente d’un titre international, un peu trop anonyme, banal, pour créer la curiosité de cinéphiles… et ce d’autant que le réalisateur du film, Kei Ishikawa, est encore un quasi inconnu chez nous. Et c’est dommage car qui se risquera dans une salle projetant A Man sera surpris par ce qu’il découvrira…
Rie (interprétée par la formidable Sakura Ando, très présente ces derniers temps sur nos écrans, puisqu’on vient de la voir dans l’Innocence et dans Godzilla Minus One !) est une jeune femme qui a divorcé suite à la mort de l’un de ses deux fils, atteint d’un cancer. Elle fait la connaissance dans la papeterie familiale d’un jeune homme réservé, elle en tombe amoureuse et reconstruit une nouvelle vie avec lui. Jusqu’à ce qu’un accident remette tout en question…
A man est l’un de ces films dont il vaut mieux ne rien savoir avant de le voir (évitez même de regarder la bande annonce !), tant une grande partie du plaisir extrêmement subtil qu’il génère vient des surprenants virages pris par un scénario pour le moins déroutant. On peut vendre au public A Man comme un thriller palpitant, ce qu’il est à sa manière, à condition de n’en attendre ni coups de feu ni poursuites haletantes. Mais A Man est aussi – avant tout – un film de personnages (multiples !), tous magnifiquement interprétés et filmés avec beaucoup d’attention et d’empathie… dans une tradition que l’on a envie de rapporter aux grands cinéastes nippons des années 40 et 50 : puisque le double sujet du film est l’identité et la transmission, il est plaisant de se dire qu’Ishikawa se positionne, même s’il construit un mécanisme fictionnel à la conceptualité très moderne, comme un héritier de Ozu, Mizoguchi ou Naruse. Si de Ozu on retrouve la patience et la compassion envers l’humanité de personnages résilients, en souffrance du fait des situation de profonds changements, mais aussi ces plans muets sur des paysages urbains, de Naruse la capacité à créer des émotions débordantes, c’est sans doute de chez Mizoguchi que vient cette justesse dans les portraits de femmes, mais aussi cette profonde conscience sociale qui ajoute une couche inattendue – politique, en fait – à un film déjà riche en thèmes complexes : la montée de l’intolérance et du racisme, dans une société japonaise où la haine de l’émigré coréen ressurgit violemment, vient enrichir les doutes que le film relaie sur ce qui constitue notre identité, sociale autant qu’individuelle.
A Man, on le voit, est un film passionnant, un film intellectuellement stimulant autant que déroutant. Un film qui est bien à l’image du célèbre tableau de Magritte, la reproduction interdite, apparaissant dès le générique d’ouverture, mais qui bouleverse régulièrement. Pourvu que nous acceptions d’être bousculés dans nos habitudes de spectateurs et de cinéphiles…