David Bowie – Ashes to Ashes de Marc Dufaud, c’est tout ce que l’on savait déjà sur le Bowie de l’époque et le morceau, documenté avec précision.
On avait quitté Marc Dufaud avec son très bon bouquin sur Daniel Darc, on le retrouve chez le même éditeur avec un livre sur la chanson qui boucla la boucle d’une période créative exceptionnelle pour Bowie. Le livre s’ouvre sur le terrain du personnel : le rôle du morceau pour l’auteur dans une période pas forcément joyeuse de sa vie de province, et surtout le 45 tours comme un fétiche chargé de souvenirs. L’auteur évoque son propre divorce musical avec le Thin White Duke à partir des années 1980, puis sa réconciliation sur la fin.
Ce qui va distinguer ensuite le livre n’est pas forcément la nouveauté des pistes abordées, mais la manière très précise de documenter l’existant autour du morceau. Si Dufaud rappelle l’influence de la technique des cut-ups (découpage puis réagencement de textes d’origines diverses inventé par William S. Burroughs et repris par Dylan) sur Bowie parolier, il ajoute quand même que le morceau se veut aussi une comptine enfantine déglinguée (le Maman m’a dit de fin de morceau…). La dimension biblique du titre du morceau est également creusée (Homme, souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière). Plus inattendu : le début du morceau cite… Peggy Sue Got Married de Buddy Holly et son You recall a girl thats been in nearly every song (…) dont say that’s true (tu te souviens d’une fille qui était dans presque toutes les chansons, ne me dis pas que c’est vrai). Puisque le morceau reprend les aventures du Major Tom, Dufaud fait de ce dernier le début du recyclage par Bowie de sa propre mythologie, appelé à s’accentuer par la suite. Scary Monsters… and Super Creeps serait aussi un album new-yorkais comme la trilogie le précédant avait été berlinoise. Le récit des sessions évoque l’échec de la tentative de collaboration avec Tom Verlaine d’un Bowie alors adorateur de Television.
Une période également liée à son interprétation à Broadway d’Elephant Man, qui lui valut les louanges d’une critique locale pas réputée pour sa mansuétude. Mais surtout des représentations qui vont cimenter l’aura américaine de Bowie en attirant un public new-yorkais branché. A New York, Bowie trouve un relatif anonymat, avant que le tragique assassinat de Lennon ne bouleverse ses plans. De plus, si l’intérêt de Bowie envers un travail de combinaison de sa musique et des images n’est pas une nouveauté, le livre évoque la spécificité du single à ce stade. C’est le premier single de Bowie qui, en tant qu’objet, a alors bénéficié d’un effort d’élaboration comparable à celui déployé pour ses albums (les versions différentes d’un même single, une technique marketing qui se banalisera). L’implication de Bowie dans ses vidéoclips était déjà là dans la période berlinoise mais, bien avant celui de Thriller, le clip d’Ashes to Ashes fera date. Les storyboards prouvent la forte implication de Bowie dans l’élaboration de ce dernier, en dépit des débats sur le sujet…
… Une implication qui décroîtra dans les années 1980 avant de revenir dans les années 1990 (en parallèle à la reprise en mains artistique). Est rappelée l’habileté de communiquant de Bowie, donnant à manger aux médias tout en protégeant fortement sa vie privée, à l’image de funérailles organisées dans un but de discrétion. On trouvera également au gré des pages mention des liens entre Bowie et la scène néoromantique naissante, Bowie et le cinéaste expérimental/réalisateur de vidéoclips Derek Jarman, ainsi que de la forte influence vocale d’Anthony Newley sur Bowie. Ou encore les effets ambigus de sa participation au film Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée… : une participation aux motivations antidrogues qui ne fera que renforcer l’aura de Bowie auprès d’un public junkie.
Un beau travail pour qui voudrait se replonger dans l’époque où Bowie faisait son adieu à la décennie 70, tout en ouvrant des pistes artistiques pour la musique populaire du début des années 1980.
Ordell Robbie