Avec Brûlée, le second chapitre de son projet Cabane, le Belge Thomas Jean Henri exprime encore un peu plus le bouleversement d’une vie dans ses infimes tremblements. Ames sensibles ne pas s’abstenir.
Qui n’a jamais été tenté de s’effacer totalement au monde, de ne plus laisser de trace derrière lui ? Qui n’a jamais rêvé de disparaître totalement, de ne faire qu’un avec le silence ? Qui n’a jamais pensé à gommer toute trace de son passage insignifiant ici et ailleurs ? Qui n’a jamais voulu estomper toute évidence numérique, toute preuve de son passage ici ? Qui n’a jamais pensé à entrer dans ces zones blanches loin de la frénésie des choses ? S’effacer aux autres n’est pas un acte courageux, cela peut être une nécessité comme cela peut être un acte de création qui permet de sortir grandi d’un tel exercice.
Avec son projet Cabane, le belge Thomas Jean-Henri est précisément dans cette volonté de s’effacer, dans une pulsion métaphysique à n’être qu’une ombre au sein d’un geste artistique. Plus il est absent et plus il est présent. Cette phrase n’est pas qu’une sentence un peu oiseuse, elle est au contraire d’une authenticité bien réelle. Il en faut de la modestie pour s’effacer à ce point derrière ses chansons, il en faut de la confiance dans la force de ces (mêmes) chansons pour laisser le soin à d’autres de les incarner. Il y a une volonté existentielle chez Thomas Jean-Henri à s’effacer pour mieux être, pour mieux dire ce qui ne peut être dit par lui. Il faut dire qu’il est bien accompagné sur ce deuxième volet de Cabane, le divin Brûlée qui n’est ni supérieur ni inférieur à Grande est la maison, le premier disque sorti en 2020. Brûlée vient compléter ce qui était dit dans l’album précédent, le nuancer et associer de nouvelles voix à ces émotions. Sam Genders de Tunng et de Diagrams est un nouveau venu dans l’univers du Belge.
Comme tous les autres participants au projet, il se met au service des émotions contenues dans ces chansons. Car plus qu’un disque de songwriter, Brûlée est une collection d’émotions paroxystiques évoquées avec une douceur sans nom. Emouvoir est au coeur de ce disque, faire trembler nos fondations en profondeur, affirmer que l’on ne peut rien affirmer. Plus sombre que Grande est la maison, Brûlée ne cache qu’avec difficultés ses parts d’ombre, ses coins sombres. Sean O’Hagan officie toujours dans l’arrière-plan avec sa science des arrangements en trompe l’oeil. La musique de Thomas Jean Henri joue avec la simplicité mais c’est pour mieux nous tromper. D’une évidence pop, d’une immédiateté absolue, ces dix chansons disent l’essentiel sans jamais se départir d’une élégance discrète. Un pas de trop et l’on pourrait tomber dans la mièvrerie, un pas de côté et l’on se noyerait dans une évanescence malvenue. Brûlée est un disque sur le fil, sur la retenue. Une suite de chansons évidentes mais pourtant mûrement réfléchies.
A l’écoute de Brûlée, on jurerait entendre un Robert Wyatt qui aurait découvert la ligne claire, une Kate St John revenue dans la lumière, un John Greaves dans l’épure. Mais toute la force de ce disque aux faux airs d’auberge espagnole réside sans aucun doute dans cette volonté du belge à laisser le soin à d’autres de donner contenance à ses chansons. Un peu comme un personnage dans l’ombre, Thomas Jean-Henri manipule ce deus ex machina avec une grande délicatesse, avec un immense respect envers ses interprètes. Kate Stables y est sublime, Sam Genders grandiose. De cette conjugaison nouvelle naît une grammaire nouvelle, de cette addition étrange ressort une équation aux multiples inconnues. On n’a pas fini de fouiller ces dix chansons comme des refuges et des abris.
Pourtant, Brûlée ne dit rien mais il le dit si bien. Il dit l’essentiel qui, souvent, peut paraître un peu vain et futile. Il dit l’amour perdu comme on l’a entendu mille fois ailleurs, parfois mieux décrit, parfois mieux dessiné. Il dit l’envie d’aller mieux, de sortir du trou noir d’une liaison qui se termine. On l’a donc entendu mille fois ailleurs en mille fois mieux mais peu importe, ce qui compte, c’est cet instant suspendu qu’impose Brûlée, cet instant qui nous permet à nous aussi de nous effacer dans ces chansons, de n’être plus qu’une poignée de notes, une once de silence, des tremblements de voix et l’éternité face à nous pour seul horizon.
Le propre des grands disques ce serait de dilater le temps, de nous permettre de nous extraire de nos carcasses pour ne plus faire qu’un avec le temps de ces chansons. Brûlée ou de l’art de s’effacer.
Greg Bod
C’est un grand disque.
Au niveau du meilleur de Sufjan Stevens.
Dans son ultra-sensibilité et la traduction de cette ultra-sensibilité.
Sans l’omniprésence de chœurs angéliques. Et c’est bien ainsi.
Le « One Year » de Colin BLUNSTONE est tout proche.