La guerre, même quand on la fuit, continue à vous poursuivre. Ce que raconte l’auteur, Pietro Zemelo, c’est comment l’exil n’enraye aucunement le traumatisme psychologique. Un récit d’une actualité brûlante entre l’Ukraine et l’Italie.
Quand Pietro l’Italien avait épousé Lisa l’Ukrainienne, la vie se présentait sous les meilleurs auspices. Lui était tombé amoureux de cette Ukraine où il avait posé ses valises. Le conflit territorial avec la Russie semblait alors confiné au Donbass. Lorsqu’en 2022, Poutine décida d’envahir le pays, il fallut bien se résigner à repartir en Italie. Un crève-cœur et un déchirement pour son épouse, que l’auteur raconte dans ce témoignage rare.
Les Tournesols d’Ukraine, c’est la petite histoire dans la grande Histoire. Bien qu’Italien mais marié à une Ukrainienne et vivant à Kiev, Pietro Zemelo a été impacté par l’ « opération spéciale » menée avec entêtement par la Russie contre l’Ukraine depuis bientôt deux ans, une guerre absurde et immonde qui ne s’est traduite jusqu’à présent que par la souffrance des populations civiles et la destruction des infrastructures du pays. L’auteur a ainsi décidé de raconter comment lui-même, son épouse et ses proches, qu’ils aient fui le conflit ou soient restés sur place, ont vécu les événements.
Si trouver refuge à l’étranger après avoir quitté son pays en guerre peut apparaître comme un soulagement pour quiconque n’a pas connu la guerre, cela est loin d’être aussi simple, comme nous le montre l’auteur qui se met en scène dans ce récit, aux côtés de son épouse. L’angoisse d’être loin de ses proches et de les savoir constamment menacés par les missiles ennemis, sans être certain de pouvoir les joindre en raison des coupures d’électricité, est sans doute ce qu’il y a de plus insupportable. La souffrance est bien réelle, et Pietro en fut témoin, quand avec sa femme Lisa il décida de rentrer en Italie, suivi peu après par sa sœur, son jeune frère et leur mère. Et la cohabitation pas toujours simple. Entre les monomanies de la mère, les impatiences de Lisa et le mutisme du gamin, la déprime guette, et les relations peuvent vite devenir toxiques.
On sent bien qu’il y avait nécessité pour Zemelo d’utiliser son art pour raconter son expérience, lui qui était plutôt habitué à dessiner des petits « mickeys » (outre l’expression amusante, l’auteur bosse réellement pour Disney !). Mais quand le contexte de tension prend le dessus, entraînant cette fameuse angoisse de la page blanche, il faut trouver une porte de sortie. C’est ainsi que prit naissance ce récit intime d’une famille en exil, sans portée politique particulière, si ce n’est pour dénoncer cette guerre à travers la souffrance de personnes réelles, celle de civils, échappant au moulinet anonymisant de l’info télévisée, et s’en prendre, sans excès d’acrimonie, à l’envahisseur russe, et d’ailleurs Poutine est à peine évoqué. Le propos ne vise ni à produire une analyse géopolitique ni à conjecturer l’issue de cette guerre, potentiellement menaçante pour la paix mondiale, il doit être seulement vu comme un exutoire impérieux.
Ce témoignage, tout à fait digne d’intérêt, pêche quelque peu dans sa narration. On comprend que l’ouvrage ait été réalisé dans l’urgence, mais on a un peu de mal à voir l’intérêt de ces va-et-vient temporels incessants qui n’apportent rien et nuisent en outre à la lisibilité du déroulé des événements. Chaque chapitre porte un numéro en se basant sur le début de l’invasion de l’Ukraine, le 24 février 2022. Ainsi, on commence avec le « Jour : – 180 », où l’insouciance domine, pour bifurquer directement sur le « Jour : 33 », puis revenir au « Jour : – 84 ». La chronologie se resserre ensuite entre le jour – 6 et le jour 20, puis retombe au jour 4, puis 11, puis 12, et ainsi de suite… Bref, au bout d’un moment, le lecteur risque de ressentir une certaine saturation…
Difficile également de dire si le graphisme très lisse est des plus adaptés à ce type de contexte. De même, les personnages apparaissent assez peu expressifs, si bien que l’on peut avoir parfois du mal à les différencier. Le but était-il d’adoucir le cauchemar vécu par les protagonistes en produisant un dessin rond et inoffensif, si l’on excepte la page 149 qui représente, via un trait épais et irrégulier, des soudards russes ayant investi une demeure ukrainienne ? Un tel parti pris semble faire de l’objet un ouvrage destiné au jeune public, ce qui en soi n’est pas péjoratif (les enfants savent aussi ce qui est bien !), mais restera de l’ordre de l’anecdotique pour un lecteur plus adulte.
Les Tournesols d’Ukraine auront au moins ce mérite : accroître notre empathie pour un peuple atrocement puni par son voisin pour avoir revendiqué le « droit à disposer de lui-même », un droit figurant dans la Charte des Nations unies, mais que la Russie a toujours rechigné à reconnaître quand elle s’appelait encore « Union soviétique ».
Laurent Proudhon