Déjouant tout ce qu’on peut attendre de cette (fausse) adaptation du concept de Mr & Mrs Smith, la série de Donald Glover et Francesca Sloane s’avère déroutante, régulièrement malaisante, occasionnellement ratée, mais toujours passionnante…
Lorsqu’on prononce les mots de Mr & Mrs Smith, personne ne pense à la « vieille » comédie matrimoniale de Hitchcock (Joies matrimoniales en français), mais tout le monde a à l’esprit le (médiocre) film de Doug Liman avec Brad Pitt et Angelina Jolie datant de 2005. La nouvelle série créée par Donald Glover (aka Childish Gambino) et Francesca Sloane (qui a participé à la série Fargo, soit quand même une référence sérieuse) reprend bien sûr le pitch du film de Liman (un couple est artificiellement créé pour cacher les activités criminelles de deux agents secrets travaillant pour une mystérieuse agence – coucou en passant à The Americans !), mais il n’est pas sûr que ce ne soit pas en fait le Hitchcock que les deux créateurs aient eu à l’esprit. Expliquons-nous…
Démarrant sur une fausse piste dans la violence et le sang – avec une apparition éphémère d’Alexander Skarsgård annonçant le principe de nombreux caméos d’acteurs conséquents tout au long de la série -, Mr & Mrs Smith va s’avérer très vite quelque chose de bien différent de la comédie / thriller auquel tout le monde s’attend, naturellement. Il suffit pourtant de lire le pitch marketing aux US (« le mariage est leur mission la plus dangereuse ») et surtout le titre de chacun des huit épisodes (de Premier rendez-vous à la rupture en passant par infidélité) pour comprendre que le vrai sujet de la série est bel et bien le couple, dans tous ses états. Ce qui frustrera sans doute les amateurs d’action, qui ne seront satisfaits que par l’épisode assez spectaculaire autour du Lac de Come (le cinquième, avec en bonus la formidable participation de Ron Perlman !), mais rongeront leur frein pendant tout le reste de la série. Dans le reste des épisodes, les missions de notre couple de tueurs passent largement au second plan par rapport aux péripéties somme toute assez ordinaires (et c’est très bien comme ça) de leur vie de couple pas très bien assorti. On pointera l’épisode particulièrement réussi de la thérapie de couple, qui met en parallèle des images de la vie criminelle des époux avec le récit lénifiant fait au thérapeute qui les pense tous deux responsables du développement de softwares : c’est sans doute l’épisode qui capitalise le mieux sur la richesse potentielle du concept de la série, entre artificialité d’une liaison construite sur un mensonge, et difficultés d’une existence sociale « normale » pour des gens qui ne survivent que grâce au secret.
S’il y a une chose très étonnante, et vraiment inattendue, dans Mr & Mrs Smith, c’est la volonté d’aller créer régulièrement des sensations de malaise : que ce soit par exemple dans l’incroyable numéro de John Turturo en sociopathe richissime dont les fantasmes sexuels se limitent à la gente canine, ou à la soirée horrible où notre couple rencontre un autre couple de John & Jane (avec l’immense Wagner Moura, comme toujours fascinant), le visionnage de Mr & Mrs Smith s’avère plus inconfortable que ce que l’on attendait, et c’est là une indéniable qualité d’une série « non formatée ».
Il est dommage que l’interminable bataille rangée du dernier épisode soit réellement… interminable (on a pensé, par instants, à son équivalent dans la Guerre des Rose de Danny DeVito), mais Glover et Sloane se rattrapent avec une excellente conclusion façon Butch Cassidy & le Kid, qui fait chaud au cœur du cinéphile. Car le fait que tant de références nous soient venus à l’esprit en visionnant Mr & Mrs Smith constitue une preuve de la créativité dont les showrunners et leurs scénaristes ont fait preuve.
Même si la qualité et l’intérêt des 8 épisodes varie énormément, même si l’on peut trouver assez intermittente l’alchimie entre Glover et Erskine (parfois ça fonctionne formidablement entre eux, parfois pas du tout !), l’originalité profonde de Mr & Mrs Smith en fait un objet insolite, à côté duquel il ne faut pas passer…
Eric Debarnot