Jason Lytle réactive le projet Grandaddy avec Blu Wav et sa collection de chansons spatiales au psychédélisme soyeux. Un grand disque tortueux et tendre, spatial, à l’imaginaire fantasque.
Pourquoi accepte-t-on de certains musiciens qu’ils ne cessent encore et toujours de repéter les mêmes formules, d’utiliser les mêmes ingrédients, de faire rimer une certaine paresse avec caresse ? Parce que peut-être derrière ces « recettes » se cachent une volonté de taire une obsession, d’étouffer une angoisse existentielle. Parce que derrière ces apparences faussement inamovibles, se cachent une envie de quelque chose qui ne changerait jamais, d’une unité rassurante.
Avec Blu Wav, le sixième album studio de Grandaddy, Jason Lytle et les siens usent encore un peu des mêmes recettes dans une paresse de facade comme si l’américain de Modesto tentait de se rassuer face au temps qui passe, face à la disparition de ses proches, celle de Kevin Garcia, le bassiste de Grandaddy qui avorta le grand retour du groupe en 2017 pour le magnifique Last Place. On commençait à se dire que ce grand groupe était marqué par une malédiction qui empêchait ses retours vers la vie. Encore une fois pour se rassurer, sans doute, Jason Lytle nous donna des nouvelles de son groupe avec une réédition en version dénudée au piano de The Software Slump. Peut-être que l’autre malédiction autour de Grandaddy, c’était justement cette impression de paresse qui revenait sans cesse dans nos bouches quand nous évoquions la musique de Lytle. Alors pour faire taire ce mauvais oeil, Grandaddy a choisi de faire de Blu Wav un hymne à une certaine nonchalance.
Mais cette nonchalance, cette pseudo coolitude que l’on pourrait accoler à la musique du Grandaddy 2024 est encore un masque pour ce grand inquiet qu’est Jason Lytle. Derrière cette guitare pedal steel et ces accents Country se terrent la même inquiétude, les mêmes craintes que celles que l’on rencontre dans l’Amérique hallucinée d’un David Lynch. Ce disque étrange, pourtant instantané, nous bouleverse avec ses chansons directes aux décors à la fois brumeux et lumineux.
Le paradoxe du temps se joue de nous ici dans ces treize chansons. Au moment de sa mort et durant la composition de ce qui devait être son album posthume, Bird Machine, Mark Linkous de Sparklehorse écoutait énormément Grandaddy (avec lequel il avait d’ailleurs collaboré pour Dark Night Of The Soul en 2010). Cela s’est entendu en septembre dernier à l’écoute de ce disque testament. Etrangement, Blu Wav est hanté par le spectre de Mark Linkous, celui de Good Morning Spider auquel ces chansons renvoient souvent dans leur science du tourment serein. En mettant la pédale douce sur le psychédélisme et en allant puiser dans son américanité, Jason Lytle retrouve le goût des grands espaces, la beauté des images en cinémascope sans jamais tomber dans une carte postale couleur locale. Non car les paysages de Grandaddy comme ceux de Sparklehorse ne racontent pas l’Amérique mais plutôt ces freaks qui l’habitent, ces êtres qui se cherchent et ne se trouvent jamais, ces être qui se perdent dans le Yosemite, ces êtres qui ne laissent pas de traces derrière leur passage.
On connaît le sens du lyrisme de Jason Lytle. Il est toujours présent sur Blu Wav mais il est comme retenu, comme empêché. Cela ne le rend que plus attachant. La nonchalance entendue à la première écoute laisse vite la place à une hébétude face à ces merveilles cumulées qui font de ce disque un des jalons majeurs de cette discographie. Blu Wav, ce serait un peu Angelo Badalamenti qui rencontrerait Neil Young dans une union où chacun ferait ce qu’il veut.
Ce que Grandaddy a obtenu de cette malédiction qui le taraude, c’est cette capacité à se dire qu’il n’a plus rien à perdre, que rien n’est à prouver. Alors autant laisser la place à un imaginaire un peu libertaire, vaguement régressif. Ne cherchant jamais à sortir du registre de la ballade, Blu Wav pourrait laisser un goût de linéarité dans le fond de l’oreille mais ce disque qui a tout d’un grower est suffisamment malin pour ne pas tout montrer tout de suite, pour jouer la transparence pour mieux cacher l’énigme.
Avec Last Place en 2017, Grandaddy avait soigné son retour. Avec Blu Wav, le groupe annonce à qui veut les entendre qu’ils sont encore bel et bien là dans un monde au-delà de l’ailleurs. Nous, on est avec « eux, hauts, bien hauts, ailleurs dans cette apesanteur ample« .
Grandaddy, ce groupe de la vague antifolk lo-fi dans les années 90 (coucou, les High Llamas !). Hummmm, c’est bon, ça !
Le temps passe tellement vite…
À présent, il porte bien son nom.