Comme il ne fait jamais avoir peur de capitaliser sur un succès dans le monde impitoyable des plateformes de streaming, Netflix nous offre avec Griselda un nouveau coup de Narcos, avec une héroïne féminine et sur le territoire US, cette fois. Et ça marche toujours…
Narcos, la série de Carlo Bernard, Chris Brancato et Doug Miro, fait partie des réussites de Netflix, ayant récolté une belle reconnaissance critique et un beau succès commercial. Evidemment, son personnage central, Pablo Escobar, est une légende fascinante, et la série gérait admirablement le mélange de réalité historique et de fiction, et l’équilibre entre action et psychologie de personnages complexes et ambigus. Et puis, il ne faut pas oublier qu’elle était largement portée par deux interprètes exceptionnels et charismatiques, ce qui ne gâchait rien : Wagner Moura, le génial acteur brésilien, et Pedro Pascal, qui est probablement devenu l’acteur chilien le plus connu mondialement de toute l’histoire du cinéma. Répéter un telle formule était sans doute mission impossible, et la déclinaison « mexicaine » de la série, pour honnête qu’elle fut, ne volait clairement pas à la même hauteur.
Rien ne justifiait donc réellement d’investir sur une troisième tentative, et Netflix a joué la prudence en limitant Griselda à une seule saison de 6 épisodes… et en « modernisant » le propos grâce à un personnage principal – bien réel, lui aussi – féminin, luttant non seulement pour contrôler toute la distribution de la drogue colombienne à Miami, mais surtout contre le machisme de ses compagnons et concurrents gangsters et trafiquants. Griselda, c’est donc une version féministe de Narcos, et, soyons honnêtes, c’est bien là l’aspect le plus directement réjouissant – et original – d’une histoire qui, sinon, ne fait que répéter le schéma classique de tous les biopics, sur quelque sujet qu’ils soient : ascension, triomphe, puis effondrement, avant tout causé par le laisser-aller d’un vainqueur se croyant désormais tout-puissant, infaillible, abusant de son pouvoir, mais aussi de drogues, etc. Et ce n’est pas là un spoiler, bien évidemment : Griselda Blanco, reine de la cocaïne en Floride, c’est la version réelle du Tony Montana fictif de Scarface (et certains épisodes de sa vie font inévitablement penser au chef d’œuvre de De Palma).
S’il y a relativement peu de surprises dans le scénario de Griselda, qui reste – comme Narcos à son époque – assez proche des faits réels, Carlo Bernard, Doug Miro et surtout Ingrid Escajeda (déjà impliquée dans des projets comme Silo et Justified) ont compris qu’il leur fallait une femme charismatique dans le rôle principal, et ont embauché l’excellente actrice colombienne Sofía Vergara, qui fait un travail fantastique et justifie à elle seule qu’on investisse son temps dans Griselda, même si l’on est a priori fatigué de voir des criminels responsables d’un véritable fléau planétaire transformés en héros cinématographiques ou télévisuels… Vergara embrasse pleinement la complexité de son personnage, s’élevant d’une situation sociale peu enviable, déchirée par une ambition dévorante de prouver aux hommes qu’elle vaut mieux qu’eux, mais également persuadée que tout ce qu’elle fait est pour le bien de ses enfants.
Si des voix se sont élevées Outre-Atlantique pour protester contre l’image dégradante que ce genre de série donne des émigrés latino-américains aux USA, on pourra rétorquer que l’aspect féministe de Griselda est particulièrement bien senti, et jamais simpliste, mais également que la description de la période d’arrivée en masse de cubains expulsés par Fidel Castro (également « documentée » dans Scarface) permet de ne pas oublier le calvaire qu’ont vécu des milliers de déracinés, violemment rejetés par leur « pays d’accueil ».
Bref, Griselda n’est pas un chef d’œuvre (paradoxalement, on aurait aimé deux épisodes de plus, la narration prenant des raccourcis frustrants quand il s’agit de conter certaines parties de la vie de Griselda Blanco), mais reste une très bonne série, plutôt plus intelligente que la moyenne des séries Netflix.
Eric Debarnot