Quatre ans après la sortie d’un album magnifique, on attendait sans y croire le retour de Patrón : joie, nous n’avons pas été déçus hier soir au Supersonic. Attention : talent exceptionnel !
En 2020, un groupe inconnu au bataillon, Patrón, sortait un album éponyme remarquable, évoquant furieusement le rock stoner des Queens Of The Stone Age (Alain Johannes produisait, Joey Castillo et Nick Oliveri faisaient partie des musiciens dans le studio !), mais avec une sorte de « prince des vampires » au chant : impossible de l’écouter sans en tomber sous le charme. Et puis… RIEN ! Le Covid, les aléas de la vie mirent le projet de Lo (Patrón, c’est lui, et c’est un musicien français !) en veilleuse… Jusqu’à ce jour, qui voit le sombre phénix renaître de ses cendres, en format groupe, programmé au Supersonic. Impossible de louper cette soirée, même si c’était seulement pour se prouver à soi-même qu’on n’avait pas rêvé en tombant amoureux de cet album…
20h30 : la soirée commence par un set solo d’un autre Français qui s’est beaucoup baladé aux USA, Zun Alak. Un set qui débute par une longue intro instrumentale, ce qui n’est pas idéal pour faire taire les indifférents au bar (un problème récurrent du Supersonic, malheureusement, lorsque la musique n’est pas jouée à un niveau sonore élevé…). Benoît Cougoulat Guerroué (c’est son vrai nom) est là avec sa seule guitare acoustique, mais il est armé de tout un kit de pédales d’effets qui lui permettent de créer un univers sonore riche, très électrique en fait, rempli de saturation. Détail curieux, les textes de ses chansons sont écrits sur des anti sèches disposées autour de lui. Quand il chante, c’est bas, d’une voix qui surprend par sa fragilité : c’est touchant, et c’est la rencontre entre un folk atmosphérique et une musique ambient assez cinématographique. Malheureusement, dans cette atmosphère peu propice au recueillement, ça devient vite ennuyeux : il faut attendre 20 minutes pour que s’élève une première chanson un peu plus marquée. Finalement, cette musique semble trop uniformément triste, même si elle devient – heureusement – de plus en plus « sonique », jusqu’à un final lyrique et emphatique. 40 minutes qui nous auront semblé bien longues, et un artiste singulier à revoir dans de meilleures conditions.
21h30 : c’est au tour de Dancers in Red, un trio (heavy) blues rock de Toulouse – avec un nouveau line up autour de Mathieu Serres, le fondateur de ce groupe qui existe depuis 2009 et a réuni une fanbase fidèle. Ils nous offrent 45 minutes de musique classique, dans un esprit 70’s, mais bien exécutée. Vocalement, Mathieu peut avoir tendance à déraper quand il hurle sur les titres plus heavy, alors qu’il est plus convaincant en la jouant plus soul sur les titres lents. Peu à peu, Dancers in Red mettent le feu au Supersonic, même si l’on peut regretter un peu trop de frime et d’exhibition gratuite de la part de Mathieu, qui donne tout ce qu’il a sans craindre les clichés. Mais le public répond très positivement, il faut l’admettre : on va mettre ces petits excès sur le compte de la générosité, perceptible, de Mathieu. Le groupe est indéniablement solide, et la setlist comprenait a priori pas mal de nouveaux morceaux, avec une coloration Blues plus nette, ce qui est clairement un chemin à suivre pour le groupe.
22h30 : on passe aux choses vraiment « sérieuses » avec Patrón. Pour ce grand retour, Lo / Patrón est infiniment classe, costume noir et pompes bicolores, chevelure corbeau ébouriffée… et un grand sourire, qui ne le quittera pas tout au long de 55 minutes qui vont s’avérer proches de la perfection dans le genre : d’excellentes chansons avec des riffs et des mélodies qui frappent dès la première écoute, une voix magnifique – façon crooner émergeant d’une sépulture fraîche, ou, si l’on veut, aristocrate décati en pleine transformation en loup-garou -, des musiciens hors pair formant un groupe qui respire la classe, dans une atmosphère étonnamment laid back, voire même allègre, un son impeccable, que demander de plus ? De bonnes lumières ? Ne rêvons pas, le Supersonic continue à nous punir dans ce domaine-là. Ah oui, une bonne partie du public était passionnée (avec pas mal de fans, dont des Américains qui chantaient les paroles) sans être bêtement violente, même quand « les boulons volaient bas » (virtuellement, on s’entend).
C’est le redoutable Room with a View qui a ouvert un set de 10 chansons, dont huit extraites de l’album. Jump in the Fire fait honneur à son titre en élevant la température d’une centaine de degrés Fahrenheit, et nous ravit avec son envol final. Le « hit » tout à fait irrésistible Who do You Dance for arrive tôt, en quatrième position, et enflamme la fosse, mais l’ambiance ne retombera pas ensuite : Very Bad Boy est un moment de pur magie rock’n’rollienne, ouvrant une dernière partie que l’on qualifiera sans vergogne d’extraordinaire avec The Maker, une chanson plus lente, magnifique, qui sera le sommet de la soirée, un blues tribal à fort contenu émotionnel en la mémoire d’une amie, Lorelei (qui fut chroniqueuse à Rock & Folk). On se quitte à regret au bout de 55 minutes sur Vegas, grand moment festif où on braille tous ensemble : « What happens in Paris stays in Paris ! ». Un seul regret, qu’ils n’aient pas joué la troublante Seventeen, immense chanson bancale, sournoise et drôle… Bah, ça sera pour la prochaine fois…
Gros, gros plaisir donc avec ce nouveau « patrón » d’un rock stoner français qui n’a (oui, on attend les anathèmes de la part des puristes) rien à envier à QOTSA : élégance, humour, talent, rock’n’roll. Que demander de plus ?
Texte et photos : Eric Debarnot