Film mineur relativement oublié, en dépit de la reconnaissance critique reçue à sa sortie, Alice Does’t Live Here Anymore (Alice n’est plus ici) n’est pas un chef d’œuvre, mais témoigne du talent de ce jeune metteur en scène qui était en train de devenir GRAND…
Petit objet curieux, coincé entre Mean Streets et Taxi Driver, Alice n’est plus ici sent fort le film de commande qui intronise Scorsese dans le système d’un cinéma américain tentant de se renouveler. En suivant cette veuve jetée sur les routes d’une Amérique profonde et meurtrie (un schéma qui fait penser, l’enfant en moins, aux Gens de la pluie de Coppola, quelques années plus tôt), Scorsese poursuit à la suite de Bertha Boxcar le portrait de femme sur les voies de l’émancipation, non sans maladresse et fragilité (et l’on parle ici tant du personnage que du film qui lui est consacré).
Ellen Burstyn, percluse d’Actor’s Studio, se lance dans un panorama exhaustif de la mère courage un peu borderline, éperdue de compagnie mais devant composer avec un désir croissant d’autonomie et de liberté. Cela occasionne autant de séquences spontanées et authentiques (avec sa collègue serveuse, avec son fils lorsqu’elle quitte son rôle de mère pour jouer celui d’une sœur ou d’une amie) que de morceau de bravoure parfois pesants, au travail ou face aux hommes qui jalonnent son parcours.
Méprisants et ironiques face aux lieux qu’ils traversent et qu’ils sont pourtant obligés d’investir, Alice et son fils ont une posture ambivalente et finement analysée : toujours prêts à repartir, conscient que la sédentarisation officialiserait leur échec social et personnel, ils côtoient avec une indifférence feinte les villes et les gens.
En dépit de ces contraintes, Scorsese insuffle clairement sa patte au film : très fluide et mobile, tout en panoramiques et en travelling circulaires, il occasionne de belles séquences dans les intérieurs de motels minables. La noirceur d’une certaine Amérique déglinguée ne dépareille pas avec les mauvaises rues de l’opus précédent, que ce soit par le personnage d’Harvey Keitel ou celui d’une Jodie Foster de 11 ans, assez incroyable et qu’on peut considérer comme l’annonce de celui qu’elle campera l’année suivante dans Taxi Driver. Le regard sans concession porté sur l’enfance progressivement contaminée par la violence – verbale, notamment – et le cynisme est aussi d’une justesse assez touchante.
L’intérêt qu’on peut trouver au film est enfin le rapport qu’il établit au cinéma et au monde du spectacle alors qu’il prend pour décor un quotidien fondé sur la désillusion. Dès l’ouverture, citation colorée du Magicien d’Oz, le ton est donné. En passionné de cinéma, Scorsese explore le lien entre la mythologie d’un pays et les paumés qui l’habitent. On rêve de chanter, on apprend à embrasser en regardant des films, on se déguise en cowboy… Les lieux emblématiques de la culture américaine à savoir le ranch et le Diner, deviennent ainsi le théâtre de séquences structurantes, ce qui permettrait aux critiques les plus bienveillants de voir en elles, plutôt que des poncifs, des hommages à un genre. On pense notamment à cette réconciliation applaudie par les clients qui dénote fortement dans la filmographie du réalisateur.
Film assez composite et qui n’est pas toujours très pertinent dans son mélange des genres (le mélo assez falot, les scènes burlesques du Diner ratées à mon sens), Alice n’est plus ici est suffisamment incarné et filmé avec talent pour qu’on puisse l’apprécier, mais reste clairement mineur dans la carrière de Scorsese, particulièrement sur cette période.
Sergent Pepper