Figure de la mode et des nuits parisiennes dans les années 80, Farida Khelfa raconte dans Une enfance française la violence subie durant sa jeunesse, puis son « évasion » d’un univers familial quasi carcéral. Un récit autobiographique passionnant.
Pour celles et ceux qui, comme moi, ne connaissaient pas Farida Khelfa avant d’ouvrir ce livre, rappelons que cette femme est une grande figure de la mode française, qui a débuté sa carrière dans les années 80, avant de devenir réalisatrice et productrice de films documentaires, et que l’on a pu voir également dans de petits rôles au cinéma : Les Keufs de Josiane Balasko (1987) ou plus récemment dans les deux volets du sympathique Neuilly, sa mère sortis en 2009 et 2018.
A la toute fin du livre, Farida Khelfa, déclare « J’ai une dette envers mes parents. Je leur dois la vie mais pas le pardon. Pardonner m’est impossible ». Une phrase qui en dit long sur la teneur de ce récit racontant la vie d’une fille née en 1960, à Lyon, de parents immigrés algériens, qui grandit dans le quartier des Minguettes en compagnie de ses neuf frères et sœurs. Une enfance pleine de douleurs et de violence, avec, d’un côté, un père alcoolique et incestueux qui abusa pendant des années de sa sœur aînée, et de l’autre, une mère soumise, dans le déni et peu aimante vis à vis de ses enfants.
Comme beaucoup de ses frères et sœurs, Farida tentera plusieurs fois de s’échapper de ce milieu familial, presque carcéral, jusqu’au jour où elle finira par partir définitivement pour aller rejoindre sa sœur Houria, à Paris, alors qu’elle n’est encore qu’une adolescente. Sa beauté sauvage et son caractère bien trempé lui ouvriront les portes du Palace, lieu incontournable de la mode et de la culture dans les années 80, à Paris. C’est là qu’elle fera la connaissance que quelques personnalités qui deviendront ses amis, parmi lesquelles Jean-Paul Goude, dont elle deviendra la compagne durant quelques années avant de se marier, plus tard, avec l’homme d ‘affaire Henri Seydoux.
Mais avant de devenir mannequin pour les défilés de Jean-Paul Gaultier, puis de connaître, bien plus tard, le bonheur d’une vie confortable et les beaux quartiers, celle qu’on peut considérer comme une transfuge de classe, une vraie, connut le tumulte d’une vie pleine de coups durs et de dangers qui auraient pu la faire basculer définitivement du mauvais côté.
Pour Farida Khelfa, il n’est pas question de refaire « Les Misérables version banlieue » dans cette autobiographie, mais plutôt de raconter les mauvais comme les bons souvenirs, d’évoquer la violence du père bien sûr, mais aussi les gens qui ont marqué son enfance, comme ces femmes du quartier qui lui ont servi (en un sens) de modèle, les copines de l’école avec lesquelles elle a rêvé d’une vie meilleure, ses frères et sœurs aux destins divers, les personnes qui lui ont permis de s’élever socialement… mais aussi la lecture. Farida nous dit aussi comment la drogue est rapidement devenue sa meilleure amie lorsqu’elle est arrivée à Paris, se rappelant aussi du début des années sida, une maladie que l’on appelait à l’époque « le cancer des homosexuels ».
C’est un récit sans tabou et d’une franchise remarquable que nous livre là Farida Khelfa, expliquant combien toutes ces blessures d’enfance résonnent encore aujourd’hui dans son être, en se manifestant parfois, sans prévenir, comme des plaies qui ne se refermeront jamais.
Un livre qui revêt presque une dimension universelle tant l’histoire de cette femme peut ressembler à beaucoup d’autres, celle de ces enfants de l’immigration et des cités HLM qui poussaient un peu partout dans la France des années 60. Des hommes et de femmes, dont beaucoup ne sont jamais parvenu à s’extraire de leur milieu pour pouvoir connaître une vie meilleure.
Un livre captivant et bouleversant qui dit que, sans cette rage de vivre et cet esprit rebelle, Farida Khelfa ne serait sans doute pas devenue la femme qu’elle est aujourd’hui.
Une belle leçon de vie.
Benoit RICHARD