La suite des Cigares du pharaon marque le franchissement d’une nouvelle étape qualitative de Hergé : des recherches plus sérieuses en amont, la création d’un véritable scénario – pour la première fois -, l’évolution du style graphique vers la « ligne claire », autant d’élément qui font du Lotus bleu un livre marquant, important, même.
… Et voilà notre ami Tintin qui débarque à Shangaï, bien décidé à mettre fin au trafic d’opium de Rastapopoulos. Mais ce qu’il découvre, au-delà de sa bataille épique contre les trafiquants qui se dissimulent derrière une respectabilité de façade, c’est un pays et une culture à la richesse inimaginable, et aussi un pays qui souffre sous la botte des colons… Une page se tourne, dans la tête d’Hergé, et donc dans la vie imaginaire de Tintin.
Je n’ai pas moi-même un rapport facile avec Le Lotus bleu, souvent pourtant considéré comme l’un des tous meilleurs Hergé (et qui fut apparemment classé – en France et au siècle dernier – à la 18ème position des meilleurs livres du XXème siècle !) : je me souviens que, enfant, j’avais été surpris en découvrant le graphisme « originel » d’Hergé, qui, à la différence des livres précédents, n’avait pas été modernisé (mis à part pour les toutes premières pages, ce qui créait un effet de rupture déstabilisant entre les pages 4 et 5) et tranchait donc avec le reste de mes Tintin… Mais j’avais surtout été « choqué » par le réalisme de nombreuses scènes : la guerre d’invasion des Japonais, les inondations meurtrières du Yang Tsé, et même la menace répétée de voir le cou de Tintin tranché ! Sans même mentionner la personnalité de Tintin, très extraverti – ces sourires, ces explosions d’émotion, cette violence dans les combats (hors champ) à mains nues…
Évidemment, nombre de ces « défauts » constituent la singularité du Lotus bleu et concourent à en faire aujourd’hui l’un des livres les plus respectés d’Hergé : bien documenté quant à la situation chinoise – Hergé ayant souhaité rompre avec la vision simpliste des civilisations « autres » qui était la sienne jusqu’alors -, mais surtout prenant fermement le parti (contre les idées généralement défendues en Occident à l’époque…) des victimes chinoises du racisme européen comme de l’impérialisme nippon, Le lotus bleu est clairement la première étape conduisant à la maturité d’une Bande Dessinée qui va devenir au cours des années suivantes l’une des œuvres majeures de son siècle. Du point de vue narration, Hergé développe pour la première fois un grand récit « policier » cohérent – même si pas exempt d’invraisemblances – et relègue l’humour à sa portion congrue (les rudes Dupontd étant à eux seuls chargés d’incarner la part grotesque de ce récit plutôt sombre, voire souvent cruel…).
Finalement, une fois qu’on a reconnu et intégré l’approche historiquement « sérieuse », mais aussi la part quasi autobiographique du récit (l’amitié d’Hergé avec Tchang-Tchong-jen, rencontré au cours de la phase initiale de documentation, qui sera également au cœur du fameux Tintin au Tibet, bien des années plus tard…), le problème qui subsiste aujourd’hui avec ce Lotus bleu, c’est sa narration : comment ne pas se sentir un peu perdu en suivant ces allers et retours effrénés de Tintin, qui semble passer son temps ballotté entre les nombreux personnages – bons ou méchants – de cette intrigue complexe, et fait paradoxalement du surplace jusqu’à un dénouement assez surprenant ?
Le Lotus bleu marque le réel début de la période faste des Aventures de Tintin et Milou, avec une vision de plus en plus respectueuse des cultures et des pays visités, avec un dessin de plus en plus soigné et avec des scénarios riches : la seule véritable faiblesse ici vient du fait qu’Hergé manque encore de savoir-faire dans la construction de ses histoires… Un défaut qui sera corrigé dans les tomes suivants.
Eric Debarnot
Après avoir caressé la bonne conscience coloniale dans Tintin au Congo, Hergé choisit enfin le camp des vaincus. L’évocation de l’occupation japonaise, même édulcorée dans ses atrocités les plus infâmes, ne manque tout de même pas d’intérêt. Les quelques pages qui s’y consacrent m’ont donné la curiosité de l’histoire. Sur le coup, Tintin est un formidable passeur. Au passage, le personnage de Mitsuhirato incarne un formidable fourbe, une crapule détestable.
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