Dans son nouveau roman, Michael Farris Smith raconte les retrouvailles d’un père et sa fille tandis qu’autour d’eux la violence se déchaîne : celle des hommes mais aussi celle d’une nature qui abat de terribles ouragans sur une Louisiane et un Mississippi devenus invivables. Haletant et déchirant.
Dans son premier roman (Une pluie sans fin, 2013), Michael Farris Smith imaginait le sud des États-Unis sous les eaux. Inhabitable, la région était devenue une zone de non-droit ravagée par les tempêtes et où erraient des survivants terrifiés par un prêcheur fou…
Dans le remarquable Sauver cette terre, l’écrivain américain semble vouloir nous raconter les prémices de cette histoire. La Louisiane et le Mississippi sont peu à peu désertés par leurs habitants tandis que des ouragans à répétition balaient ces deux états, laissant derrière eux misère et désolation. L’un des personnages du roman dira d’ailleurs que désormais rien ne peut pousser sur ces terres qui n’ont plus le temps de sécher entre deux tempêtes. Pourtant, certains s’accrochent inexplicablement à ce coin des États-Unis. Wade est de ceux-là : veuf, il a longtemps noyé dans l’alcool la perte de sa fille unique, Jessie, dont il n’a jamais vraiment su s’occuper. Un jour, Jessie est partie avec un homme plus vieux qu’elle et Wade n’a plus eu de nouvelles d’elle… Jusqu’à ce qu’elle l’appelle, désespérée : elle et son fils Jace sont traqués par des fanatiques, membres du Temple de la gloire et de la douleur, une secte dirigée par une femme terrifiante, Elser. Alors qu’un nouvel ouragan s’approche, Wade et Jessie vont devoir se retrouver et essayer de se comprendre.
Sauver cette terre est une réussite totale. Le nouveau roman de Michael Farris Smith coche en effet toutes les cases de ce que l’on aime dans le noir américain, sans pour autant paraître artificiel ni préfabriqué. En moins de trois cents pages, le romancier parvient à construire un récit qui équilibre parfaitement tous ses ingrédients : lyrisme des descriptions de la nature, rythme haletant de la traque des protagonistes par des fous de dieu, scènes plus introspectives et souvent bouleversantes, personnages attachants et émouvants. Le récit progresse en articulant savamment ces éléments jusqu’à un dénouement d’autant plus terrifiant qu’il s’avère en partie elliptique, obligeant le lecteur à imaginer ce qui n’est pas explicitement raconté. Toute la fin du roman baigne ainsi dans une étrange atmosphère quasi surnaturelle, alors que le reste du roman s’apparente plutôt à une dystopie glaçante car terriblement réaliste.
Mais Sauver cette terre, au-delà de son intrigue, c’est aussi et surtout une réflexion sur les liens qui se tissent entre nous, et sur ceux qui nous rattachent à notre terre, notre passé. Chaque personnage semble défini par ces liens. Holt, par exemple, le compagnon de Jessie, homme taiseux et énigmatique, a le cou marqué de cicatrices. Ces stigmates dont on ne découvrira les origines que tardivement, semblent rattacher le personnage à un passé dont il ne parvient pas totalement à se défaire. Et que dire de ces hommes et femmes, Wade notamment, qui refusent de quitter une terre pourtant dévastée par la nature et désormais hostile ? Dans l’un de ses précédents romans, Backwood, Michael Farris Smith développait la métaphore du kudzu, cette plante invasive qui menaçait de précipiter les personnages dans des abîmes dont ils ne pourraient ressortir. On retrouve en partie cette idée dans le dernier quart du roman, lorsque les personnages se retrouvent prisonniers d’un lieu aux contours quasi surnaturels. Leur seule issue ? Peut-être les liens familiaux fragilisés par les épreuves… Des liens qu’il faudra patiemment reconstruire, ailleurs sans doute, loin de ses racines…
On le voit, Sauver cette terre est un formidable rural noir dont les niveaux de lecture sont multiples. Dystopie climatique, réflexion sur les liens familiaux, dénonciation des fanatismes religieux, thriller haletant, Sauver cette terre parvient à être tout cela à la fois. Impressionnant !
Grégory Seyer