Bouzard à peine refroidi, aussitôt ressuscité. Winshluss, en bon docteur Frankenstein, a décidé de le ramener à la vie. De façon pas totalement désintéressée, le but étant d’obliger sa créature à entamer la suite de cette hilarante intégrale. Et nous, lecteurs sadiques, de plussoyer l’initiative.
On peut être à la fois le roi de la lose et avoir droit aux honneurs. La preuve avec cette intégrale publiée par les Requins Marteaux regroupant les trois volumes de The Autobiography of me too, recueil de strips hilarants de l’inénarrable Bouzard, parus entre 2004 et 2008. Pour le plus grand plaisir de nos zygomatiques.
Champion de l’autodérision magnifiant la banalité et l’ennui du quotidien, Bouzard est une sorte de génie qui parvient même à contrarier la mort, laquelle, visiblement, ne veut pas de lui. Provocation ultime adressée à la faucheuse, la couverture laisse apparaître en vernis sélectif doré une petite croix funéraire quelque peu difforme ! Si ce n’est encore pas le glas qui sonne pour le gars Bouzard, il semblerait que pour lui, ce soit plutôt l’heure de la consécration avec cet Ultimate ! Et les Requins Marteaux ont vu grand, en intégrant, s’il vous plaît, un ruban marque-page à l’ouvrage !
Vingt ans après, l’humour est resté intact, indifférent à l’usure des ans et au wokisme en vogue. Humilié par sa compagne dès qu’il se risque à fanfaronner, Bouzard, allergique aux tâches ménagères, ne subira jamais les scuds de #metoo. Quand bien même il cherche à faire faire la peau de son « chien stupide », qui prend un malin plaisir à le ridiculiser, les associations de défense des animaux ne pourront rien contre lui. Ni la ligue contre l’alcoolisme, malgré sa consommation de pinard bien au-delà du raisonnable, ni les ligues catholiques à la vue de son chibre raide (quoique modeste). Bref, le ton va si loin dans l’absurde et l’autodérision qu’il rend inattaquable son auteur… et ne ferait que ridiculiser l’attaquant…
A l’avenant, le dessin volontairement mal fichu est un sommet de drôlerie. On l’oublie souvent, mais il faut un certain talent pour réussir à faire passer des émotions (ici en l’occurrence le rire) en deux coups de crayon, et Bouzard n’en manque pas. Dans la même catégorie, on pense d’abord à Reiser, dont le trait « moche et vulgaire », associé à une irrévérence féroce, a fait les beaux jours d’Hara-Kiri et du Charlie Hebdo des débuts. A la différence que Bouzard utilise pleinement les codes du neuvième art pour décupler les fous rires auprès de son lectorat. La mise en page en gaufrier, loin d’être une contrainte pour l’auteur, ne fait que renforcer le dynamisme narratif, en contrepoint d’anecdotes qui sans cet humour hypra décalé seraient désolantes de banalité. A cela vient s’ajouter un sens du mouvement très cartoonesque qui n’aurait pas tout à fait la même puissance comique sans ledit gaufrier. Il suffit pour s’en rendre compte de se reporter à la page 164, avec cette scène où notre (anti-)héros poursuit son clébard dans les arbres (volume 3 – The Autobiography of me too free), l’air de rien c’est du grand art. On n’oubliera pas de parler des expressions des visages hilarantes, dont certaines carrément « what the fuck », la plupart du temps empreintes de lassitude, de goguenardise ou de colère, c’est tout bonnement irrésistible !
En résumé, Bouzard, c’est la nonchalance désabusée alliée à du Tex Avery, la grosse fatigue alliée à du punch sur ressort. Pour des gags qui font mouche à tous les coups, sans forcer… parce que produire des gags sur commande, c’est assez fatigant au fond, et c’est pas non plus le genre de la maison… Bouzard, c’est du gag en hamac, un peu la même école que Boulet ou Fabcaro.
A la lecture de cette intégrale qui donne très envie d’avaler toute sa bibliographie, on serait disposé à faire confiance à son pote préfacier Winshluss, en espérant que la piquouze « reanimator » atteindra les neurones de notre homme fait zombie. Même si l’on sait, que de toute façon, Bouzard est éternel !
Laurent Proudhon