Terrassée par la mort de sa mère, une jeune femme fuit son deuil en explorant les pratiques BDSM. Une douleur peut-elle en effacer une autre ? Un premier roman audacieux et original signé Ella Baxter. Une belle découverte.
La mort constitue le quotidien d’Amelia, une jeune Australienne qui travaille avec sa mère, son beau-père et son frère dans une entreprise de pompes funèbres. Son métier ? Maquiller les cadavres afin de les rendre présentables aux yeux de leurs proches endeuillés. Le jour, Amélia s’applique à cette tâche avec professionnalisme. Le soir, elle scrolle sur les applis de rencontre avant de fuir son quotidien dans des relations aussi fugaces qu’insatisfaisantes.
Tout bascule lorsque sa mère meurt brutalement dans un accident. Incapable d’affronter sa douleur, Amelia décide de fuir et de ne pas assister aux obsèques. Elle part en Tasmanie retrouver son père biologique, un écrivain en mal d’inspiration qu’elle n’a pas vu depuis longtemps. Là, elle découvre, un peu par hasard, le milieu BDSM qu’elle décide d’explorer dans l’espoir de faire taire sa douleur en faisant du mal à son corps.
Avec un tel sujet, Une créature de douleur, premier roman de l’Australienne Ella Baxter, aurait pu être un récit racoleur et provocateur. Mais on comprend assez rapidement qu’il n’en sera rien. Si le livre propose bien quelques scènes de pratiques BDSM, celles-ci se révèlent plus tristes que sulfureuses. Il faut dire que, dès les premières pages, Ella Baxter suscite notre empathie pour Amelia, la narratrice du roman. On s’attache vite à ce personnage en quête d’un équilibre qu’elle pense parvenir à construire en compartimentant son existence : son travail où elle excelle d’un côté et, de l’autre, sa vie sexuelle comme exutoire. La souffrance qu’elle cherche à infliger à son corps nous fait mal tant il est évident que cette douleur-là est une fuite en avant totalement vaine. A trop considérer son corps comme une simple enveloppe que l’on peut malmener, Amelia en oublie l’essentiel : son rapport aux autres, à sa mère mais aussi à ses proches, ceux qui sont encore là.
Ainsi, ce qui séduit le plus dans ce premier roman, c’est sans doute sa capacité à affronter la question du deuil avec autant d’audace. Les réflexions d’Amelia sur la douleur liée à la perte d’un proche – et en particulier la mort d’une mère – se révèlent aussi puissantes qu’émouvantes. Pour autant, le roman évite le désespoir et le pathos avec habileté. Une créature de douleur ose même quelques scènes qui confinent à l’absurde et l’ironie et l’humour noir ne sont jamais bien loin, notamment lors des descriptions du milieu BDSM.
Une créature de douleur s’impose donc comme une belle découverte, celle d’une jeune romancière qu’il faudra suivre avec attention. Ajoutons que cette nouvelle publication du Gospel, quelques mois après celle de Rentre chez toi, Ricky !, confirme la singularité du projet éditorial de la maison créée par Adrien Durand (qui se charge même ici de la traduction) : proposer des romans légèrement en marge, un peu décalés mais parcourus par une belle énergie créatrice.
Grégory Seyer