Alors que le duo Juan Díaz Canales/Rubén Pellejero prolonge les aventures du Corto Maltese historique avec un cahier des charges très contraignant, Martin Quenehen et Bastien Vivès ont bénéficié d’une carte blanche et projeté leur propre Corto au début du XXIe siècle.
Le Corto d’Hugo Pratt aimait les femmes fortes et indépendantes, mais les rapports entre Bouche Dorée ou Soledad et le marin vénitien restaient dans l’ombre. Il semblait rester fidèle au souvenir de Pandora, son premier amour.
Le scénario de Martin Quenehen est sombre, mais son Corto, rajeuni, partage depuis peu sa vie à avec la belle Sémira. Fidèle à son modèle, il est peu loquace, mais ironique, flegmatique et audacieux. Nous le retrouvons à Venise, en 2002. Agents secrets et truands serbes, bosniaques et irakiens s’y observent, puis s’y entretuent. Par amour pour Sémira, Corto participe à un braquage maritime, objectivement un acte de piraterie. Ses amis mettent la main sur le magot, mais, c’était sans compter avec la jalousie de l’un d’eux. La troublante Sémira est tuée. Corto n’aspire plus qu’à la venger.
Même si Bastien Vivès a conservé la boucle d’oreille et les rouflaquettes, son Corto est moderne. Bien que le trait de Vivès soit plus réaliste et plus proche de la ligne claire, il se rapproche du style d’Hugo Pratt, qui, avouons-le, souvent varia, par sa rapidité, sa simplicité et son économie de moyens. Vivès et Pratt excellent dans l’art de l’épure, le travail des ombres, la capacité à poser un décor ou une silhouette par quelques traits précis. Souvent simplement esquissés, leurs visages sont expressifs et beaux.
Une fois n’est pas coutume, le personnage le plus réussi n’est pas un méchant, mais une inquiétante alliée. Ancienne journaliste, la blonde Bloody Gina a rejoint les rangs de la CIA. Cette femme mure aux formes épanouies pourrait passer pour une mère de famille californienne, si elle ne s’était pas vouée à l’exécution des basses œuvres du gouvernement américain. Froidement, Gina torture et assassine. Gina et Corto sont sur les traces du trésor de Sémiramis, la mythique Reine de Babylone. La fin est un peu brutale, mais elle est conforme à la légende prattienne.
Stéphane de Boysson