Quelque fois, trop rarement, un concert nous emmène ailleurs, plus loin, plus profondément en nous mêmes, justifiant notre amour immodéré de la musique, live surtout. C’était comme ça, hier, aux Etoiles, avec les prodigieux Black Foxxes. Et ceci est une humble tentative de retranscrire ce qui s’est passé…
Il arrive parfois – rarement, c’est vrai, mais on aimerait que ça arrive plus souvent – qu’on se sent accablé à l’idée d’avoir à retranscrire en mots ce qu’on a vécu pendant un concert, en écoutant de la musique, en laissant se déverser en nous et autour de nous toutes sortes d’émotions qu’il est difficile de capturer, à moins d’être un poète, bien sûr. Alors on laisse tout ça mariner pendant la nuit, alors on a du mal à trouver le sommeil parce qu’on a encore du mal à croire à ce qu’on a vécu. Et on se retrouve le lendemain matin à peu près au même endroit. Pas plus avancé, donc.
On peut au moins commencer par remercier les amis qui nous ont convaincus de sortir par un samedi soir froid et pluvieux et d’aller voir un groupe anglais qu’on n’a jamais pris le temps / eu l’occasion d’écouter (Black Foxxes) : l’article Wikipedia sur eux ne leur fournit aucun signe distinctif par rapport à des milliers – littéralement – d’autres groupes ou artistes qui galèrent pour se faire connaître à travers la planète, et ce ne sont surtout pas les étiquettes « grunge », « indie rock » ou « post punk » abondamment distribuées qui vont nous attirer. Mais l’avis d’un véritable ami, qui plus est mélomane, oui. Parce que, en cette époque où l’on cherche la lumière sur les réseaux sociaux et n’y trouve que consternation, l’avis des vrais amis compte plus que jamais.
C’est ainsi que nous nous retrouvons, petite bande hétérogène de passionnés ne sachant pour la plupart pas à quoi s’attendre, dans la jolie salle des Etoiles, dans le dixième arrondissement. Il est 21 heures, et nous ne dirons rien ici de la triste première partie qui nous a été infligée. Sauf que c’était loin, très loin, de ce que devrait être la musique. Et ce vide abyssal que nous avons patiemment affronté va être encore rendu plus flagrant par les quatre-vingt cinq minutes que Black Foxxes vont nous offrir.
Etablissons quand même d’emblée deux ou trois faits. Black Foxxes existent depuis une dizaine d’années, autour de Mark Holley, jeune homme souffrant de la maladie de Crohn et particulièrement tourmenté, pour qui la musique – c’est lui qui l’explique – est un exutoire, mais également un moyen précieux de conserver un équilibre forcément précaire. Le groupe qui a connu très tôt une reconnaissance critique avec son premier album n’existe plus vraiment : Holley est entouré désormais d’une nouvelle équipe, un trio basse – batterie – claviers / saxophone, qui le suit, le pousse, l’entoure dans ses plongées dans une musique très expérimentale, très risquée. Les critiques anglais, paresseux comme toujours, comparent désormais Black Foxxes à Radiohead, mais nous, nous évoquerons plutôt nos chers Psychotic Monks (pour la recherche d’une émotion la plus profonde et la plus « pure » possible) et notre aussi cher Daniel Blumberg (à cause bien entendu et malheureusement de la mise en musique de souffrances physiques et mentales). Avec une différence, de taille : il n’y a, chez Black Foxxes, pas de « syndrome artistique » : pas d’intellectualisation de la démarche, seulement l’expression la plus sincère, la plus nue, de la douleur, de l’angoisse, de la tristesse.
Comme chez beaucoup de groupes de la nouvelle vague rock anglaise, le jazz – le free jazz – est venu prendre la place des influences habituelles : l’adjonction d’un saxophone (brillamment utilisé) est une avancée décisive dans la musique de Black Foxxes, qui permet de longues digressions, parfois planantes, fluctuant en puissance et en intensité, nous entraînant dans des rêveries d’une tristesse poignante, avant des chutes vertigineuses dans un chaos cauchemardesque. On peut aussi rapprocher certains moments vécus au cours de cette soirée de ce que peut offrir, dans un registre musical différent, le Rock Progressif à son meilleur (chez King Crimson, par exemple), lorsque la virtuosité technique n’est pas le sujet, et est même hors sujet, et n’importe que le « trip transcendantal » dans lequel l’artiste entraîne son auditoire.
Il y a, occasionnellement, surtout en introduction et en conclusion d’un set dans l’ensemble très calme, des explosions de bruit et / ou de rage, ou le savoir-faire brutal du rock des 90’s se rend utile. Au moins pour libérer cette tension accumulée lors des longues mélopées douloureuses de Mark Holley, qui a même dû demander à un moment qu’on baisse les lumières – déjà limitées – parce que c’était « effrayant » pour lui…
Car il y a surtout, au centre de tout ce maelstrom d’émotions parfois suffocantes, la voix de Mark Holley, qui nous touche au cœur à chacune de ses intonations, de ses inflexions. C’est une voix qui a la capacité d’arrêter le flux du temps, et surtout une voix qu’on ECOUTE. C’est à cause de cette voix que nous avons passé quarante-cinq minutes en apnée, sur l’heure vingt-cinq du concert. Avec la gorge serrée, avec des larmes pleins les yeux. En n’osant pas tourner la tête, dans le silence absolu qui régnait dans la salle des Etoiles pourtant quasiment pleine, pour regarder nos amis et vérifier qu’ils étaient dans le même état de nous. Mais heureux qu’ils soient là, eux aussi, pour ensuite témoigner que nous n’avions pas rêvé.
A la fin, visiblement touché par l’accueil reçu, Holley nous a expliqué combien ça avait été dur pour le groupe de continuer à exister, et que terminer leur longue tournée – marquée par des problèmes de santé et de matériel – à Paris dans ces conditions était inespéré. Et les quatre musiciens ont ensuite fait quelque chose que nous n’avions pas vu encore : ils ne nous ont pas salués, mais ils se sont longuement serrés dans les bras, formant sur scène une humble petite cellule humaine précaire, baignée dans les longues acclamations du public, de leur public.
Pour conclure, parce qu’il faut bien conclure même si nous n’en avons pas envie, remercions Mark Holley, son talent, sa sincérité, son combat, pour le fait de nous avoir rappelé que la Musique (majuscule, s’il vous plaît) est beaucoup plus qu’un divertissement, mais est aussi un Art essentiel à notre survie, intellectuelle et émotionnelle.
Texte et photos : Eric Debarnot
Ce live report traduit en effet totalement ce que nous avons vécu ce soir là
Salut Eric ! Si je ne dis pas de bêtises, on s’est rencontré au concert de Archives et October Drift en fin d’année dernière et je t’avais parlé de Black Foxxes. Tu as peut être oublié ou alors c’était un de tes confrères, en tous cas je suis tellement heureuse de lire un si bel article sur eux! Merci pour tes mots qu’ils méritent, et au plaisir de te recroiser a l’un de leurs concerts!
Bonjour Elodie ! Tu ne dis pas de bêtises, et en effet je me suis souvenu de ce que tu avais dit sur Blacl Foxxes quand un ami m’a proposé d’y aller. Et tu avais donc raison, ça a été un concert inoubliable ! A très bientôt j’espère dans les salles de concerts !