Pourquoi la découverte d’un dinosaure, lors d’une tentative d’évasion, peut transformer une bande de détenus infréquentables en paléontologues éclairés ? C’est ce que nous raconte cet écrivain chilien dans cette fable satirique, on ne s’ennuie pas un seul instant tant c’est drôle et moral à la fois !
« Vous êtes, John, un grand représentant de la culture, ce sympathique passe-temps qui ne vaut peut-être pas le sport, il faut le reconnaître non ? dit le ministre avec un petit rire. », vous trouverez ce dialogue vers la fin de Sur un os, formidable roman, de Ricardo Elias. Cet échange constitue un bon éclairage sur le mordant de cette satire mais aussi sur le discours moral, en creux, que nous délivre cet écrivain chilien né en 1983.
Dès les premières pages nous voilà embarqués ou plutôt emprisonnés dans une geôle chilienne avec Lalo Cartagéna, prisonnier austère qui ne rêve que d’évasion en faisant les cent pas dans sa cellule et son « coturne » Boticheli Hernandez qui s’abrutit en lisant toujours les mêmes « illustrés » débiles. Les courts chapitres qui rythment le livre nous font rapidement découvrir une palette d’autres détenus tous plus infréquentables les uns que les autres. La rouerie de Ricardo Elias, sans tomber dans un angélisme « politiquement correct », est de nous démontrer, à la lecture des tristes vies des différents protagonistes, que la plupart d’entre eux sont aussi ici à cause d’une certaine fatalité voire cruauté du destin (et c’est souvent très drôle). Ainsi Grande Perche qui verrait son sort scellé, à l’issue d’un hold-up, à cause d’une « laitue qui fournirait ensuite des informations capitales sur ces empreintes digitales. » ou cet autre anti-héros du roman… : « – Vous vous rappelez quand Pickles a volé une voiture de flics ? Et ce con, en plus, est allé sur les lieux d’un cambriolage. – Qu’est-ce que je pouvais faire d’autre, répondit Pickles. Puisqu’à la radio on me disait d’y aller. », je ne divulgâcherais pas le sort de ceux qui s’acharnèrent à cambrioler toujours les mêmes victimes et qui finiront par avoir la frousse de leur vie (à vous de découvrir). Bref on ne s’ennuie pas un seul instant à la lecture de Sur un os et on rit beaucoup.
Le directeur de la prison Gualdo Tapi est aussi à la hauteur ( ?) de ses hôtes, au-delà d’être veule, de trousser sa secrétaire tout en craignant sa femme, il a comme autre pêché mignon d’être un collectionneur de télécommandes (si si) qu’il affiche fièrement dans son living, ce qui le conduit à offrir des télévisions dernier cri à ses détenus mais sans la zapette (ce qui les rend fous-furieux avec des conséquences que je ne dévoilerai pas…ce ne sont pas des gars faciles). Plus sombre est Lillo le terrible maton qui maltraite la plupart des prisonniers tout en préservant ses intérêts avec les vrais caïds du pénitencier. C’est le vrai méchant de Sur un os ! Assurément un sale type.
Des personnages extravagants à qui on s’attache ne suffisent pas à faire un bon roman…le talent de Ricardo Elias est d’avoir assez d’exentricité pour nous brosser une intrigue des plus farfelues qui va entrainer des changements majeurs dans cette prison.
Lalo Cartagena alors qu’il creuse un tunnel sous sa cellule tombe sur un os qui en révèlera d’autres : le squelette d’un hadrosaure dont Wikipedia dit que c’est un genre douteux de la famille des hadrosauridés ou « dinosaures à bec de canard ». On constatera que même leur dinosaure est douteux…
Cette découverte va transformer leur univers carcéral : tous les dimanches sont organisées des visites du fossile mais aussi des conférences pour les familles des détenus. Car désormais nos « sympathiques » amis sont passionnés par la paléontologie et s’interrogent sur l’évolution de l’espèce puis de fil en aiguille sur le genre humain et leur propre sort aussi…on assiste ainsi à des débats autour de ce qui a poussé le singe à descendre de son arbre pour devenir homo erectus et Grand Perche de gloser : « A ce moment-là, il n’y a ni bien ni mal. Les concepts n’ont pas encore été inventés, alors aucune décision est bonne ou mauvaise. Elles sont toutes bonnes. Et puis, c’est quoi le bien, c’est quoi le mal ? ». Bref nos détenus, par le biais de cette trouvaille, découvrent les joies de l’esprit, de la réflexion, grandissent et se mettent à fréquenter assidument la bibliothèque « la plus moderne de toutes les prisons d’Amérique Latine » alors que par le passé « Aucun prisonnier ne franchissait la porte de cette bibliothèque, pas même par erreur. » et « La seule fois où il y avait eu des gens dedans ce fut lors de l’inauguration. ». Et le lecteur de soudain croire au genre humain mais Ricardo Elias avec Sur un os ne fait pas dans le « feel-good book » ce en quoi on le remercie. Bref les choses se gâtent un peu…mais pas à cause des détenus mais plutôt de l’administration, bref la morale est sauve pour le lecteur qui a pris fait et cause pour ces bras cassés.
Sur un os au-delà d’être un roman très rythmé, captivant à lire est aussi et surtout une réflexion sur les circonstances qui font que certains individus deviennent des délinquants. Ainsi à propos de Lalo Cartagena le héros du livre on lit : « Il n’y a pas beaucoup d’enfants dans le monde qui répondent « je veux être délinquant » quand on leur demande ce qu’ils voudront faire quand ils seront grands. A sept ans, Lalo répondait qu’il voulait être un politicien ; « un délinquant, quoi » lui répondait-on du tac au tac. Ce genre de choses marque un enfant. ».
Le grand message d’espoir du livre est de tenter de nous montrer qu’il y a peut-être mieux à faire dans une prison que de s’abrutir dans des salles de sport, devant des écrans et que la culture, les livres, la paléontologie, une bibliothèque, un professeur cela peut aussi amener des êtres à réfléchir autrement et se projeter dans une autre vie. Alors oui on trouvera sans doute ma lecture naïve mais au moins j’y ai cru pendant plus de 300 pages et c’est bien là le principal (et même si la triste réalité nous rattrape à la fin) ! Recommandé.
Éric ATTIC