Si Criminal Record, la dernière série policière mise en ligne sur Apple TV+, n’atteint pas le niveau des meilleures réussites de la plateforme, l’habituel savoir-faire des acteurs britanniques lui permet d’impressionner durablement.
Londres. Un appel anonyme d’une jeune femme terrifiée à la police, brutalement interrompu, sème le doute dans l’esprit de June Lenker, jeune policière soutenue par sa hiérarchie qui cherche à renouveler les effectifs en incorporant plus de femmes et de personnes de couleur, et la pousse à remettre en question une ancienne enquête menée par un éminent détective, qui a conduit à l’incarcération d’un possible innocent.
Il est clair d’entrée de jeu que cette co-production américano-britannique qu’est Criminal Record coche toute les cases idéologiques bien-pensantes du moment. Son sujet semble avoir été écrit par une AI à qui on aurait demander d’écrire l’histoire le plus « woke » (pour reprendre cette fois le terme à la mode chez les bons vieux réactionnaires de chez nous) possible : racisme, masculinité toxique, violences domestiques, brutalités policières, drames de la pauvreté dans les banlieues, fascination pour le fascisme, corruption dans l’administration, erreurs judiciaires, négligence des personnes âgées, etc. La barque est pleine, et la série de Paul Rutman prend rapidement des apparences de quasi-caricature.
Mais l’autre problème, plus grave celui-ci, de Criminal Record est que son scénario est d’une redoutable maladresse, et pèche à de multiples niveaux : d’abord dans la manière dont il ne fait pas avancer son sujet principal (à l’avant-dernier épisode, on en est au même point qu’à la fin du premier, et une accélération improbable permet de résoudre l’affaire dans la dernière heure de la série), en particulier en s’égarant sur une autre affaire – celle du meurtre d’un enfant, par balle perdue, dans un parc du même quartier -, mais également en multipliant les embardées vers les histoires de personnages secondaires pas très bien écrits, dont la fonction est clairement d’allonger la liste des problèmes sociétaux que la série entend dénoncer.
Pourquoi alors, demanderez-vous, perdre son temps devant Criminal Record ? Eh bien, tout simplement parce que, comme c’est presque toujours le cas dans les séries britanniques, l’interprétation y est exceptionnelle, et balaie régulièrement toutes nos réserves. Cush Jumbo transcende avec un naturel confondant tous les stéréotypes que les scénaristes ont accumulés dans son personnage, et livre une interprétation à la fois mesurée et vibrante d’une jeune femme toujours à la limite de perdre pied face à la complexité de sa vie professionnelle et privée. Face à elle, le génial Peter Capaldi (oui, cette ancienne vedette de Dr Who qui nous a déjà bluffé dans le formidable The Devil’s Hour) joue dans le registre, rare chez lui, de la rétention, du contrôle total de ses expressions et de son langage. L’alchimie – mot qui n’exprime ici aucune empathie, mais plutôt une manière de s’affronter en permanence, avec différents niveaux d’agressivité mais aussi d’admiration mutuelle – entre Jumbo et Capaldi est totale, et porte de nombreuses scènes à l’excellence.
Quant au fin mot de l’histoire, il faudra attendre la toute dernière scène du film pour l’avoir, et l’ambiguïté qui a régné jusqu’au bout sur Criminal Record permet également de passer outre ses faiblesses d’écriture, et, au final d’en faire une expérience mémorable.
Eric Debarnot