Auréolée d’un succès nouveau et croissant grâce aux réseaux sociaux, TikTok en tête, Faye Webster n’a pour autant pas l’intention de modifier sa perception artistique. Au contraire, Underdressed at the Symphony, son cinquième album (déjà), épaissit encore un peu plus la couche indie-rock sous un fond mélancolique teinté de légèreté.
Depuis ses débuts, il y a chez Faye Webster une espèce de détachement, de cool-attitude absolument charmante. Et si les statistiques d’écoutes depuis son dernier album, I Know I’m Funny haha, sont venus donner un peu plus de relief à son nom, sa nature n’a cependant pas bougé d’un iota. Preuve en est faite à l’écoute de Underdressed at the Symphony, son nouveau bébé, où l’on retrouve tous les composants habituels de sa musique, quelque part entre folk sudiste, country, blues et indie.
La petite surprise, c’est cette tonalité sérieuse, limite inquiétante, un peu électrique même, où la rythmique se fait plus alt-rock que par le passé. Est-ce parce que Faye chante les affres de l’amour et des rapports de frictions qu’il engendre ? Possiblement. Toujours est-il que cet effet d’accélérateur de particules apporte une énergie nouvelle très bien sentie. Dont n’est sans doute pas étranger la présence à la guitare de Nels Cline de Wilco. Les deux titres ouvrant le disque, Thinking About You puis But Not Kiss, donnent le ton et mettent directement dans l’ambiance.
Alors attention, le dit disque n’est pas l’album shoegaze de l’année non plus, il faut raison garder. Les ruptures sont légions, on repasse en slow-motion sur le serein Wanna Quit All the Time, le temps est carrément suspendu pour le joli Lifetime, nouvel emprunt R&B qu’elle maîtrise une nouvelle fois très bien. Puis cette voix si douce, si agréable qui se greffe intelligemment peu importe le genre, a toujours cet effet apaisant. C’est encore une fois la grande réussite, ce côté force tranquille, à la fois mélancolique et flegmatique, presque taquin. On se laisse à nouveau endormir, séduire par ce chant à la limite du murmure.
La touche d’humour pince-sans-rire ne manque évidemment pas à l’appel. Webster n’hésite pas à relâcher la pression des sentiments pour sortir de sa casquette des idées ubuesques dont elle a le secret. Réciter son historique Ebay (le très justement nommé Ebay Purchase History) ? Raconter sa banale journée pendant 80 secondes sous vocoder (Feeling Good Today) ? Vouloir coûte que coûte une bague en Lego (Lego Ring) ? Oui, elle y va. Pour ce dernier morceau, petit tube hybride, elle va même jusqu’à inviter le rappeur Lil Yachty, copain d’enfance et d’école, pas le dernier lui non plus pour partir dans un délire musical – voir son dernier album Let’s Start Here, objet psyché sorti l’année passé.
Cette dualité, ce paradoxe constant de ce qu’incarne Faye Webster est aussi l’une des clés de son succès. Trouver un équilibre entre l’état profond et le second degré, entre sa délicatesse intrinsèque et un côté badass, son bagage musical et ses accointances avec toute un pan des rappeurs gros bras d’Atlanta (elle a été signé avec Playboi Carti, photographe pour Killer Mike ou Offset). Réussir un tel grand écart sans se fourvoyer, c’est fort et lui permet aussi de toucher un public large et, visiblement, de plus en plus nombreux.
Tutoyer le succès sans le rechercher, c’est le rêve de beaucoup d’artistes. La preuve qu’avec juste un peu de culot, d’ouverture et de sincérité, on peut faire beaucoup de bruit sans avoir besoin de crier ou de s’agiter dans tous les sens.