On ne pouvait mardi soir retourner voir Depeche Mode, car le merveilleux Gruff Rhys était en ville, soit LE rendez-vous immanquable pour tous les amoureux de pop classique parfaite. Des retrouvailles qui ce sont avérées cette fois un peu en-dessous de nos attentes complètement déraisonnables…
C’est peu de dire qu’on attend beaucoup de ce concert. Ce qui n’est jamais bon. Mais comment faire autrement ? Il y a le souvenir de la délicieuse soirée que Gruff Rhys nous a fait vivre il y a déjà deux ans au Hasard Ludique. Il y a ce nouvel album, superbe, qui vient de sortir : Sadness Sets Me Free. Il y a même l’organisation de ce concert dans un lieu improbable, le Solaris, un petit théâtre luxueusement rénové au second étage d’un immeuble situé à quelques dizaines de mètres de la Maroquinerie, qui crée le sentiment d’un « événement » inhabituel. Mais ce n’est jamais bon, non, de partir avec un niveau d’attente aussi élevé…
Il est 19h35 et la soirée débute avec Bitw, un auteur compositeur gallois (Gruff ab Arwell), qui joue ce soir en solo sur des instrus pré-enregistrées, armé de sa seule guitare renforcée d’effets et de sa voix. Le set débute dans un registre indie qui peut rappeler les orfèvres néo-zélandais du genre : de belles chansons pop, immédiatement séduisantes, interprétées avec le juste niveau de fragilité, voire même un soupçon de timidité. Au fur et à mesure, Bitw prend de l’assurance, jusqu’à nous offrir un avant-dernier titre dansant avec une guitare énervée. Il n’est pas facile de comprendre ce qu’il nous dit, entre deux chansons : il parle bas et avec ce fichu accent gallois. Mais ce n’est pas grave, on a écouté 25 minutes de belle musique, pas forcément mise en valeur, ce qui la rend même intrigante. Il faudra écouter ce que ça donne sur disque…
20h30 : Gruff Rhys et ses musiciens débarquent, tous vêtus de salopettes blanches portant le nom de la « société » pour laquelle ils sont sensés travailler : GR Logistics… dont Gruff nous explique que la mission est de nous libérer non pas des biens matériels, mais des sentiments, des sensations, bref de tout ce bagage immatériel que nous portons avec nous. A l’arrière de la scène, défile un montage vidéo d’un container « GR » dérivant dans l’espace. Bref, Gruff n’a rien perdu de son sens de l’humour décalé, absurde, à la limite de l’incompréhensible parfois.
Il nous explique qu’ils vont jouer ce soir l’intégralité du nouvel album, ce qui sera fait, mais en intercalant d’anciens titres entre les nouveaux… Le problème est que le démarrage du set frôle la catastrophe acoustiquement : la voix de Gruff est inaudible, la batterie, placée près du devant de la scène, couvrant tout, y compris les autres instruments – guitare, contrebasse, piano et mellotron. Kate Stables nous a même fait le plaisir de chanter avec Gruff sur quelques chansons, et on ne l’entend même pas. Il faut dire qu’on réalise alors qu’il n’y a pas de véritable sono de concert dans la salle, et qu’il sera donc impossible de nous offrir le son que les chansons de Gruff Rhys méritent. Alors oui, ça s’améliore au bout du troisième morceau, mais ça ne sera jamais brillant : et écouter de la musique pop raffinée, entre les Beach Boys, XTC et la bossa nova (une influence claire dans le dernier album) avec un son pourri, ce n’est pas vraiment un grand plaisir, avouons-le.
Mais bon, tout le monde fait contre mauvaise fortune bon cœur, et essaie d’apprécier ces fichues chansons magiques qu’écrit Gruff : car des choses comme Celestial Candyfloss, Silver Lining (Lead Balloons) ou They Sold My Home to Build a Skyscraper, on n’en entend pas tous les jours ! Et puis, il y a ces moments de doux délires « montypythonesques » quand Gruff et son vieux complice à la batterie communiquent avec nous via leurs fameuses pancartes (« The next 120 minutes may change your life », « Pang! », « Applause! », etc.), ou quand Gruff passe dans une broyeuse à papier les messages qu’il a demandé à certains membres du public d’écrire (la plupart se plaignant d’ailleurs de l’absence de bar dans le Solaris !), avant que les confettis en résultant nous soient balancés dessus ! En fait, on ne sait jamais quand on doit rire aux facéties incompréhensibles de Gruff Rhys, et c’est bien ce qui fait son charme…
La dernière demi-heure du concert finit par décoller malgré tout, avec une perle comme American Interior, et une belle double conclusion en gallois, Ni Yw Y Byd et l’incontournable Gyrru Gyrru Gyrru. Il manque une dizaine de minutes pour atteindre le cap des deux heures promises (… qui auraient pu changer notre vie, donc !). On quitte Gruff Rhys après un concert un peu en demi-teinte, mais qui, dans le fond, ne change absolument rien à notre vénération pour cet artiste pop incomparable.
Texte et photos : Eric Debarnot