Le film-choc du moment est une histoire de professeurs et d’élèves : difficile à croire ? Oui, pourtant, la salle des profs est un thriller mental, politique et sociétal profondément perturbant, une expérience de cinéma qui se dissimule derrière des clichés pour nous bousculer.
La salle des profs est un film dont on parle beaucoup en ce moment : gros succès en Allemagne, en lice pour les Oscars (catégorie films étrangers) et positionné comme un vainqueur-surprise possible, porté par une excellente critique pour sa sortie sur les écrans français… Vu le titre et le sujet (des vols répétés dans la salle des professeurs d’un collège vont conduire à un désordre et des conflits croissants entre professeurs et élèves, mais également au sein des deux populations), nous, Français défenseurs de l’école publique et cinéphiles habitués aux films militants et bien pensants sur le sujet, ne nous attendons pas pour autant à être surpris : après tout, Bégaudeau avait secoué le même cocotier polémique avec succès dans son Entre les murs, non ?
Sauf que le film de Ilker Çatak est un tout autre animal. C’est avant tout un film qui nous veut du mal : un film qui génère un inconfort profond, et pas seulement parce que le réalisateur utilise les règles, les mécanismes et la forme du thriller (voire du film de terreur) pour créer un stress infernal chez le spectateur. Non, la force de la salle des profs – ses détracteurs diront : sa limite – c’est de créer un énorme gloubi-boulga de situations sociétales, de problèmes politiques, de comportements déviants causés par les dernières « tendances » (bonjour au wokisme !), de secouer tout ça énergiquement et d’en tirer une fiction de plus en plus labyrinthique, où s’enferment ses personnages sans espoir de sortie. En ravageant nos nerfs à force de retournements de situation absolument rageants, en nous faisant nous irriter devant les décisions absurdes de son héroïne (une jeune professeur de Maths et de Sports idéaliste qui veut bien faire et prend TOUJOURS les mauvaises décisions, comme dans un « slasher »), Çatak nous raconte combien notre monde actuel est devenu tout simplement invivable, inhumain.
Leonie Benesch joue idéalement, avec beaucoup de finesse, l’enseignante naïve et dépassée, que l’on se met progressivement à détester – un tour de force du film, même si on retrouve malheureusement ici le manque d’empathie envers des protagonistes haïssables qu’on pouvait reprocher à Haneke. Car dans notre monde où tout le monde a ses raisons, où les règles n’existent plus, où les comportements de tous sont à la fois profondément égoïstes et gangrénés par la peur de l’opinion des autres, où se heurtent de plein front un racisme général de moins en moins larvé (ici, l’enseignante est d’origine polonaise et les premiers accusés des immigrés de fraîche date) et une démission totale devant les préceptes de la permissivité, où la guerre intergénérationnelle fait rage, La salles des profs dresse un constat glaçant de la déliquescence de la société.
Le problème est que, inévitablement lorsqu’il s’agit d’un programme aussi noir que celui de Çatak, dresser un constat ne permet pas forcément de trouver une issue : le final de La salles des prof est profondément décevant – assez similaire finalement à la conclusion des Misérables, un film pas si différent dans son approche d’une réalité sociale difficile. Entre niaiserie convenue (le Rubik’s Cube, qu’on voyait revenir depuis un moment) et ambigüité peu féconde (l’enfant roi porté par la police), on ne peut pas dire que Çatak ait bien su conclure son pamphlet.
Eric Debarnot