Est-on encore la « fille de » quand on a coupé tous les liens avec son père ? Telle est la question que nous pose Christian Roux dans un bref roman noir sur la famille et la mémoire, un road-trip pour reconstruire un passé que l’on a pourtant tout fait pour oublier.
Fille de, comme l’indique son titre, est une histoire de filiation. Samantha, alias Sam, a fui son père des années plus tôt. Désormais, elle vit seule sur les hauteurs de Cassis où elle tient un petit garage. Mais on ne peut jamais échapper à son passé, et celui de Sam ressurgit lorsque débarque chez elle un homme qu’elle n’a pas vu depuis très longtemps. Autrefois, Franck était le complice d’Antoine, le père de Sam. Ensemble, ils formaient un gang de braqueurs hors pairs… jusqu’à ce que tout tourne mal. Récemment libéré de prison, Franck veut récupérer sa part du magot cachée quelque part par Antoine. Mais celui-ci vit désormais dans un EHPAD : sa mémoire est plus que défaillante et l’ancien malfrat n’est plus que l’ombre de lui-même. Sam n’a donc pas le choix : si elle veut se débarrasser de Franck, elle va devoir renouer avec son père et tenter de faire jaillir des souvenirs profondément enfouis.
Musicien, scénariste, Christian Roux est aussi l’auteur de plusieurs romans noirs qui lui ont valu un certain nombre de récompenses et de prix littéraires. Dans Fille de, il s’appuie sur des thèmes bien connus des amateurs du genre et que lui-même a déjà traités dans des œuvres plus anciennes : les braquages mais aussi et surtout la question des souvenirs. L’amnésie, qui était centrale dans Les Ombres mortes (2005), est à nouveau l’un des enjeux du récit : Antoine réussira-t-il à se souvenir ? Mais, avec Fille de, Christian Roux choisit autant la voie du récit intimiste que celle du polar. Ce bref roman de 160 pages, s’il contient son lot de scènes d’action, reste presque exclusivement focalisé sur la relation qui se noue entre Sam et son père et sur leurs souvenirs, notamment celui de la mère de Sam morte des années plus tôt dans des circonstances assez troubles. Ainsi, leur road-trip à travers la France, s’il a pour objectif de retrouver l’argent caché par Antoine, doit surtout leur permettre de réparer ce qui a été cassé entre eux.
Parfaitement rythmé, ponctué d’extraits de chansons de Tom Waits, Fille de alterne le récit du voyage de Sam et Antoine et les retours en arrière qui éclairent progressivement le passé des deux protagonistes, leur histoire avant la rupture. Cette structure, assez classique au demeurant, se révèle parfaitement adaptée pour charpenter un récit qui pose la question de la solidité des liens du sang : ceux-ci sont-ils impossibles à dénouer ? Peuvent-ils au contraire être totalement brisés ? Quant au motif du road-trip, on perçoit assez bien ce qu’il possède de symbolique : sillonner les routes, c’est finalement pour eux une tentative de reconstitution du passé. Et comme ce parcours est semé d’embûches, Christian Roux en profite pour égrener quelques scènes très réussies. Bien entendu, il y a ces passages – presque des scènes obligées dans un polar – au cours desquelles Sam va devoir se débarrasser de ceux qui les suivent. Mais, Christian Roux parsème également son roman de situations tantôt très drôles, tantôt émouvantes, et confrontent Sam à la déchéance de son père, à sa dépendance aux autres. Sans trop en dire, on peut notamment évoquer une scène dans un restaurant qui constitue l’un des meilleurs moments du roman, une sorte de parenthèse a priori sans rapport avec le reste mais qui révèle finalement un peu plus les personnages.
On perçoit d’ailleurs au détour de certains passages le plaisir que Christian Roux a pris à construire et à conter cette histoire. La noirceur la plus totale peut jaillir aussi brutalement que l’humour ravageur d’un narrateur qui n’hésite pas à interpeller son lecteur.
Fille de est donc un beau tour de force, un roman qui réussit, en moins de deux cents pages, à nous faire sourire et à nous émouvoir.
Grégory Seyer