La difficulté d’évoluer, pour un groupe à l’identité aussi clairement définie que Whispering Sons, est immense. Great Calm, ce troisième album, réussit à construire une nouvelle approche sans rupture avec le passé.
Soyons francs, au risque de paraître brutal, Whispering Sons, c’est avant tout une VOIX. Cette voix incroyable, inoubliable une fois qu’on l’a entendue, est celle de Fenne Kuppens : évidemment, il y a du Ian Curtis dans cette voix. C’est un miracle et aussi une malédiction pour un groupe qui s’est construit sur l’héritage de la Cold Wave, puisqu’il laisse Whispering Sons exposés à la critique, à être qualifiés de simples suiveurs, de disciples, de perpétuateurs d’une musique plus grande qu’eux, sans doute plus grande que l’immense majorité des groupes qualifiés de nos jours de « Post-Punks ». Mais on sait aussi que Fenne vient quant à elle, de la new wave, de Siouxsee en particulier, et que son chant a été également inspiré par celui de Bowie, ce qui est aussi une référence impressionnante.
On s’attend évidemment à ce que, au troisième disque, celui de la maturité et de la consolidation, Whispering Sons s’engagent dans une direction affirmée, qui les définira et les distinguera de la masse de la concurrence. Il est logique que, pour ce groupe, cette consolidation se fasse autour de la voix, essentielle, mais aussi des mots de Fenne. Et que le groupe élargisse son spectre musical en navigant vers des rivages plus sereins, parfois même plus optimistes. Rassurez-vous, la basse est toujours là pour structurer la plupart des chansons, et les montées en intensité sont toujours aussi saisissantes, stupéfiantes même : il n’y a pas dans Great Calm de rupture brutale avec le passé, juste une volonté de diversification, d’ouverture, mais aussi de plus de complexité et d’ambigüité.
Un paradoxe évident de l’album est la contradiction apparente entre ce calme immense que l’on nous promet et la photographie effrayante d’une voiture calcinée (on n’osera pas imaginer dans quel état est le conducteur !) : il s’agit ici de figurer la beauté paradoxale de choses a priori terribles – et on est ici, admettons-le, encore une fois dans le pur héritage de la cold wave des 80’s ; mais Fenne voit aussi cette image comme le rappel de la nécessité d’accepter ce qui nous arrive. Et Great Calm a été conçu de cette manière, en alternant les poussées incendiaires et les moments d’acceptation. Soit une approche ambitieuse de la musique et de son impact désiré sur l’auditeur…
Mais ce n’est pas encore tout ce qui distingue Great Calm de ses prédécesseurs. Ecoutons plutôt les premières phrases du disque : « These old roads / Winding me to sleep / Mist banks on either side / Are plundering the scene / There is nothing to keep me here » (Ces vieilles routes / M’entraînent vers le sommeil / Les bancs de brume de chaque côté / Dérobent tout le paysage / Il n’y a rien qui me retienne ici). Fenne expliquait lors d’un interview qu’elle se souciait de plus en plus d’avoir une approche poétique dans ses textes, et qu’elle pensait s’en être approchée dans Great Calm. L’introduction de l’album, Standstill, met des mots, de beaux mots même, sur cette volonté du groupe de quitter les terres brumeuses du passé et de partir à l’aventure.
Est-il utile de parler ici de chacun des douze titres qui constituent les quarante-cinq minutes de l’album, de citer ceux que nous aimons le plus et ceux qui nous déçoivent un peu ou nous parlent moins ? Certainement pas ! Nous préférons, cette fois, vous laisser découvrir vous même la richesse de Great Calm : certains d’entre vous se réjouiront d’y retrouver des échos de ce qui faisait l’efficacité des deux albums précédents – en particulier les bouffées d’intensité cathartique -, d’autres préféreront les pas de côté que s’autorise le groupe – par exemple ce sentiment nouveau d’incertitude bienfaisante devant un avenir différent.
Laissons plutôt la conclusion à Whispering Sons, sur Try Me Again : « A sudden flicker of a light / Signs to a change in times / Well, I’m on fire now / So here it goes / I gladly take this blow / Breathe out the past / Tear all the skin of my flesh / And turn it all to ash » (Un soudain scintillement de lumière / Indique que les temps changent / Eh bien, je suis en feu maintenant / Alors voilà / J’accepte cette épreuve avec plaisir / J’expire le passé / J’arrache toute la peau de ma chair / Et je transforme tout en cendres). Au delà du fait qu’on y retrouve – comme promis – entremêlés le feu et l’acceptation, ce que la VOIX de Fenne Kuppens nous dit, c’est que l’arrivée de ce voyage de quarante-cinq minutes n’est rien d’autre que point de départ d’une prochaine aventure.
Qu’on a hâte de vivre…
Eric Debarnot