Avec son premier long métrage, Inchallah un fils, le réalisateur Amjad Al Rasheed suit le parcours d’une veuve qui peut se voir dépossédée de ses biens par son beau-frère. Un film tendu qui ne sombre jamais dans le misérabilisme.
Il n’est pas difficile de faire de la vie d’une femme en Jordanie un thriller : tout, dans cette société corsetée par les traditions et un patriarcat inamovible, contribue à contraindre et rendre paranoïaque l’employée, l’épouse, la mère ou la sœur.Inchallah un fils, premier long métrage d’Amjad Al Rasheed, suit ainsi le parcours d’une veuve qui peut se voir dépossédée de ses biens par son beau-frère, dans la mesure où elle n’a qu’une fille, et pas un garçon qui pourrait assurer l’héritage, comme le prévoit la loi.
Divisé en espaces carcéraux (l’appartement, la maison des riches dans laquelle elle s’occupe d’une vielle femme), le récit rivé à la protagoniste restitue avec conviction un étouffement généralisé, et décline les diverses voies pour contraindre la femme à qui rien n’appartient, que ce soit son corps (la question du droit à l’avortement de l’épouse trompée du côté de la famille aisée), ses biens et jusqu’à sa fille. La figure masculine oscille entre deux choix de mise en scène : le hors champ des maris volages (celui de l’épouse délaissée affirmant « Je ne veux pas d’un bébé qui lui ressemble », celui de la protagoniste, un mort dont les agissements détestables hantent le présent, que ce soit dans son absence de signature des documents attestant des apports de son épouse, ou de son téléphone sur lequel la maîtresse l’appelle encore…), et le plein cadre d’un frère passif et d’un beau frère envahissant, bien décidé à occuper l’espace, remplacer la figure de propriétaire et de père pour la fille.
Au sein de ces espaces, Nawal avance malgré tout, multiplie les stratégies et s’enfonce dans des mensonges dont on sait qu’ils ne pourront la sauver, avec une énergie du désespoir qui ne cesse de montrer à quel point le système est dirigé contre elle – et, en somme, toutes les femmes. Les dialogues assez crus avec la fille de sa patronne ouvrent une fenêtre sur la frustration et la colère des femmes lors d’une dissertation au vitriol sur la question du « haram », ce qui est considéré comme un péché, tandis que l’espace public est présenté comme une perpétuation de l’agression, que ce soit par le regard du voisinage épiant les moindres accrocs à la tradition, et jusqu’au quotidien du harcèlement de rue. L’intrigue secondaire, où une histoire d’amour pourrait naître avec un collègue kiné, est en cela intéressante, parce qu’elle montre à quel point il n’est plus possible de laisser aux sentiments une place : tout n’est que suspicion, calcul d’intérêt pour pouvoir s’en sortir, jusqu’au dégoût de soi-même.
Tendu et au souffle court, le récit ne sombre pas dans le misérabilisme dans la mesure où il fait de l’énergie de Nawal un moteur salvateur. La métaphore de ce fameux pick-up qu’elle refuse de vendre, alors qu’elle n’a pas le permis, atteste de cette conviction de pouvoir se ménager des espaces et des échappées. Si le dénouement est un peu facile, il ne fera pas oublier son véritable sujet, et l’intérêt d’un film qui dévoile au grand jour des salles obscures les luttes des femmes cantonnées aux alcôves secrètes.
Sergent Pepper