Responsable de l’un des plus beaux albums de ce début d’année, Bill Ryder-Jones a accepté de répondre à nos questions et de lever le voile sur la conception de Iechyd Da… en introduction à son set très attendu à la Maroquinerie.
Benzine : Cet album a un titre en gallois, tu viens de Liverpool qui n’est pas loin du Pays du Galles : quelles sont tes origines ?
William : Le côté paternel de ma famille est gallois, ils se sont installés en Angleterre il n’y a pas plus de 50 ans. Ça a donc toujours fait partie de moi. Je vis en fait dans cette petite péninsule entre Liverpool et le Pays de Galles. Et je peux voir le Pays de Galles de ma fenêtre, alors que je ne peux pas voir Liverpool ! Une bonne partie de mon enfance est liée à des souvenirs de moments passés au Pays de Galles, et il y a mon amour de la musique et de la langue galloise. Mais je ne voulais pas que ça soit un thème pour l’album, quelque chose de reconnaissable, je voulais plutôt que ça soit une question : qu’est-ce que ça signifie ? Ces mots du titre en gallois, c’est surtout une belle phrase pour moi, une phrase que j’aime utiliser souvent…
Benzine : Ça veut donc dire « Bonne Santé ! »
William : C’est : « Bonne santé à toi ! », c’est une reconnaissance envers les gens qui écoutent ma musique. Mais en fait, j’ai décidé ça après avoir choisi le titre (rires). Ce disque, il est simplement à propos des trois dernières années de ma vie, il n’y a pas vraiment de thème. C’est la même chose avec la pochette, je voulais juste que ça fasse sens. Le disque a été une construction, il a réuni trois différentes périodes d’enregistrement, trois états d’esprit différents, il a été beaucoup retravaillé…
Benzine : Même si on sent la complexité et la diversité des chansons, il y a quand même une unité, c’est un album et pas une collection de chansons…
William : Bien sûr, c’est bien mon approche : essayer de donner à tout ça une cohérence, pour en faire un véritable album. Je n’étais juste pas certain d’y être arrivé, l’album est long avec beaucoup de chansons… A la fin, l’idée est de donner à toutes ces chansons un toit…
Benzine : J’étais presque déçu d’apprendre que le beau village de la pochette est écossais et pas gallois…
William : Oui, oui, je sais. Mais encore une fois, puisque l’album n’est pas à propos du Pays de Galles, et quand j’ai vu le tableau, je me suis dit que c’était exactement l’esprit des chansons. D’ailleurs, j’ai été déçu après avoir vu le tableau de découvrir que le peintre n’était pas un vieil artiste charmant, mais un beau jeune homme de 20 ans qui fait du sport (rires).
Benzine : On n’a pas besoin de savoir ça ! (rires) I Know That It’s Like This, la première chanson, a immédiatement évoqué pour moi le Velver Underground de Loaded… ce qu’on ne retrouve pas ensuite…
William : Quand j’ai écrit la chanson, je me suis dit à un moment, est-ce que je vais oser faire ce « pa, pa, pa » ? Est-ce que les gens ne vont trouver pas ça un peu « trop » ? Et puis, zut ! J’aime la musique que j’aime, et c’est tout ! Et puis, je me suis inspiré de tellement de choses de manière dissimulée, que je pouvais bien le faire ouvertement, cette fois (Rires). L’une des choses dont je suis le plus fier dans cette chanson, c’est cette intro en trois accords, qui accroche tout de suite, un peu comme Walking On The Wild Side… C’est cool, on en connaît tous les éléments mais ça marche.
Benzine : L’effet que ça a eu sur moi, en fait, c’est que je me suis senti tout de suite « chez moi » dans cet album…
William : S’il y a un sens derrière cet album, c’est bien celui-ci : j’aime que les disques soient un espace confortable, où l’on se sente bien. Je suis heureux que ça fonctionne de la façon que j’avais imaginée…
Benzine : Ce qui merveilleux aussi dans l’album, c’est l’usage des cordes, des chœurs… Mais comment est-ce que ça peut être retranscrit en live ?
William : On n’y pense pas quand on enregistre. De manière réaliste, j’espère que sur la fin d’année, ce sera possible de monter quelques concerts avec des musiciens additionnels. Mais ça peut marcher en format groupe, j’ai un violoncelliste, et je ne suis pas Coldplay, je n’ai pas besoin de monter un gros truc pour jouer devant plein de gens. On fera des versions plus « petites », l’essence des chansons sera là. En réalité, c’est plutôt marrant de se répartir des rôles, j’ai deux guitaristes, un claviériste, un violoncelliste…
Benzine : On a hâte de découvrir ça à la Maroquinerie…
William : Les billets se vendent bien, en tout cas, plus que les fois précédentes. Ça doit être une jolie salle de concerts. Et j’aime bien venir à Paris, tous les musiciens sont toujours ravis de venir visiter de belles villes en Europe.
Benzine : Thankfully For Anthony est une suite à une chanson qui fait suite à une autre, écrite bien plus tôt. Ce n’est pas une chose habituelle dans la musique de suivre des personnages, des histoires à travers le temps…
William : C’est juste l’histoire d’une amitié : mon plus vieil ami s’appelle Anthony. Il y a dix ans, j’avais écrit cette chanson, Anthony & Owen qui était à propos de deux garçons de la rue où je vivais, et qui parlait de combien cette époque de mon enfance me manquait. Cette fois… En fait, chacune des chansons de cet album est à propos d’UNE seule chose, UNE personne, UNE pensée, UN mois peut-être. A un moment donné, je n’allais pas bien, j’ai appelé Anthony, et il est venu chez moi. C’est un gars du Nord, il parle de ses émotions, mais seulement si c’est « j’ai faim, je suis excité, je suis en colère » (rires)… Alors, la manière dont il montre son affection est différente, c’est un vocabulaire différent. J’ai réalisé que c’était ce dont cette chanson, à moitié écrite, voulait parler, à propos d’Anthony et d’autres personnes que j’aime dans ma vie. Et Thankfully for Anthony est devenu une chanson sur les différentes manières dont les gens montrent leur amour…
Benzine : Je comprends en t’écoutant parler pourquoi cet album m’a autant touché émotionnellement, moi qui me sens parfois usé par la quantité de musique que j’ai déjà écoutée, qui est devenu comme un fardeau…
William : Oui, je comprends ça, ça me fait ça, à moi aussi… Je suis plus jeune, mais ça fait maintenant un paquet d’années que je suis obsédé par la musique. Je déteste, je déteste viscéralement quand les gens copient des choses d’avant, quand ils ont l’arrogance de penser qu’ils peuvent s’en tirer à bon compte en se présentant par exemple comme une version moderne de Joy Division !
Benzine : Cet album est comme une fenêtre sur ton âme, plein d’émotions, même s’il y a beaucoup de pudeur, c’est infiniment touchant…
William : C’est ce que je veux faire, j’ai réalisé assez tôt dans ma vie que les hommes ne parlent pas, et j’ai eu plein de problèmes parce que j’attendais que les gens comprennent ce qui se passait en moi sans que je ne leur dise rien… Et puis, la musique que j’aime, c’est celle faite par des gens qui me parlent directement à moi, qui me racontent leur manière d’être, leur vision du monde, c’est ce qui me permet de me sentir lié à eux. J’utilise la musique pour me sentir mieux…
Je travaille maintenant comme producteur, j’ai un studio à dix minutes d’ici, et je vois des musiciens qui arrivent avec seulement quatre semaines pour réaliser leur album, parce qu’il n’y a pas l’argent. Oui, ils ont peut-être passé deux ans à l’écrire, ils ont fait des démos chez eux. Mais dans mon cas, j’ai passé deux ans et demi à raffiner cet album, à réécrire ces chansons. Tout ça prend du temps, on ne peut pas toujours aller vite, rafistoler les choses avec des bouts de ficelles, et espérer que ça va fonctionner quand même. Il faut de la réflexion, prendre des notes : je ne pourrais pas faire ça dans un grand studio en 3 ou 4 semaines…
Benzine : Tu touches là un sujet grave, l’absence d’argent dans le Rock, qui prive les jeunes de temps, de support pour faire des disques…
William : Je suis d’accord. Je n’ai aucun problème avec le fait de ne pas gagner beaucoup d’argent, j’ai la chance de pouvoir vivre de ma musique et ne pas être obligé d’avoir un boulot alimentaire. Comment est-ce qu’on peut faire tout ce boulot de création s’il faut aussi travailler ? Ça doit être très dur. Il est vrai quand dans les années 90, il y avait trop d’argent, trop de cocaïne (rires). Mais les bonnes maisons disques ont eu du mal à survivre quand le téléchargement pirate est arrivé. Je comprends qu’ils aient préféré signer des accords avec les plateformes de streaming… mais ce que font ces plateformes est assez répugnant. Ceci dit, le streaming est une bonne manière de découvrir de la musique, même si ça a changé la manière dont les gens écoutent de la musique… Ça a changé la valeur que les gens attribuent à la musique…
Benzine : Le côté positif de ce qui se passe aujourd‘hui avec Internet, c’est que l’artiste peut toucher beaucoup, beaucoup plus de gens, influencer leur vie…
William : Je devrais penser plus à l’auditeur, car je suis moi-même un auditeur. Mais je ne voudrais pas que les artistes que j’aime, que j’écoute, manquent d’argent…
Benzine : Dernière question, quelle est la prochaine étape ?
William : J’ai tout mis dans cet album, alors je ne sais pas quelle pourrait être la suite. Mais j’ai fait quelque chose dans ces chansons qui était nouveau pour moi : alors je me dis qu’il y a là des choses à explorer. Ceci dit, je ne vais pas me dépêcher, je suis content de mon travail. J’ai des idées, je ne veux pas faire de plans… Mais je vais peut-être prendre ma guitare me soir et me mettre à composer (rires) !
Propos recueillis par Eric Debarnot le 1er février
Bill Ryder-Jones sera en concert à la Maroquinerie le 28 mars 2024
Bill Ryder-Jones – Iechyd Da : « Je suis toujours perdu mais je connais l’amour… »