1938 : Hitler annexe les Sudètes, puis l’Autriche, Mussolini s’empare de l’Albanie, Franco exécute la jeune république espagnole. L’Europe tremble et laisse faire. Hergé s’insurge !
Tintin trouve sur un banc public un cartable oublié par le professeur Halambique. Alors qu’il le lui rapporte, il découvre que le savant est sous surveillance. Pressentant un danger, il lui propose son aide : les voilà en route pour la Syldavie. Le pays est inquiet. Durant des siècles, les Syldaves ont été soumis par leurs voisins bordures. Cette peur est naturelle pour un Belge ou pour un ressortissant des pays baltes ou balkaniques. Trop longtemps, ils ont craint d’être avalés par un voisin plus puissant. L’Histoire n’est pas tendre pour les petites nations. La France a plus souvent occupé ses voisins qu’elle n’a été occupée. D’ailleurs, ne s’est-elle pas, progressivement, agrandie à leurs dépens ?
Le Sceptre d’Ottokar faisait partie de ceux que, jadis, nous possédions à la maison. Je vous dois une confidence, mon exemplaire a disparu. Me reviendra-t-il un jour ? Tracé d’une main enfantine, mon nom est inscrit sur la première page. Je me suis précipité chez un bouquiniste pour le remplacer. Pourquoi un tel empressement ? Il me manquait. Je vous dois un aveu, j’aime lire les livres qui m’ont envouté enfant dans des versions contemporaines de mes premières lectures. Je ne suis pas un collectionneur, je ne recherche pas les éditions originelles en parfait état. Au contraire, j’apprécie les ouvrages patinés à force d’avoir été lus et aimés par des gamins.
Grâce aux deux extraordinaires pages du guide touristique et au travail d’Edgar P. Jacobs, Hergé est parvenu à incarner son histoire. J’avoue y avoir cru. Longtemps, la Syldavie et la Bordurie ont eu leur place dans ma vision de l’Europe. Même aujourd’hui, l’adulte que je suis devenu reconnait croire plus à l’existence du roi Muskar XII, qu’en celles de ses contemporains Zog Ier d’Albanie (1895-1961), Boris III de Bulgarie (1894-1943) ou Alexandre Ier de Yougoslavie (1888-1934).
La mise en route est un peu longue : ce n’est qu’à la 24e page que Tintin atterrit miraculeusement sur une meule de foin syldave. Le rythme s’accélère ensuite. Dans mes souvenirs, j’ai apprécié les uniformes surannés et chamarrés, les vieux châteaux et les charrettes à foin. Sans rien comprendre du contexte historique, j’ai été séduit par la rapidité et le réalisme du scénario. J’ai aimé l’interminable et trépidante course contre la montre, menée à pied, en voiture, puis en avion de chasse – Tintin sait tout faire – et développée sur une dizaine de pages, qui oppose Tintin aux espions qui fuient avec le fameux sceptre. La séquence se conclut sur la belle planche, assez inattendue par sa précision technique, de la destruction nocturne de l’appareil. Hergé sait désormais tout dessiner. Il s’offre même deux caméos lors de réceptions au palais royal. Je n’ai découvert que récemment le clin d’œil que Tintin adresse au lecteur ; comme quoi, nous avons toujours un détail à découvrir. Et Hergé termine sur une dernière jolie scène : lors du bal final, en manifestant leur joie, les Dupontd brisent un lustre. Hergé ne montre que les chapeaux melons et les cannes, soit la partie pour le tout. Une métonymie ! si je ne m’abuse.
La Castafiore fait une courte, mais bruyante, apparition. Rassurez-vous, l’unique personnage féminin de la série reviendra bientôt. Le rôle de Milou s’est encore réduit, mais c’est lui qui sauve la monarchie ! Il est temps que Tintin se découvre de véritables amis, si possible des comiques. Patience, ce sera fait dès l’épisode suivant.
Stéphane de Boysson