En neuf saynètes filmées en plan fixe, Ali Asgari et Alireza Khatami illustrent les dérives étatiques du régime des mollahs avec qui le dialogue ne se résume qu’à une impasse. Une impossibilité, toujours, de s’exprimer et d’être soi-même.
À l’écran, une ville s’éveille. On entend les bruits et les agitations qui résonnent, les voix des gens et les oiseaux, les klaxons et les sirènes tandis que la lumière du jour se fait plus vive, et même à travers la brume de la pollution. On entend la vie qui s’agite, on dirait une ville comme une autre, on imagine une ville comme une autre. Cette ville, c’est Téhéran. Cette ville, c’est l’Iran, ce pays où tout, ou presque, est interdit, soumis à la censure et aux autorités, au despotisme toujours plus dur des mollahs : les relations amoureuses, le port du voile, le choix d’un prénom, votre foi et même votre chien, et même vos tatouages. Et l’autorisation aussi de pouvoir faire un film.
D’ailleurs Chroniques de Téhéran s’inspire des expériences personnelles d’Ali Asgari et d’Alireza Khatami face à l’absurdité administrative de diverses institutions iraniennes (entre autres celle du ministère de la Culture). En neuf saynètes filmées en plan fixe, les deux réalisateurs exposent les dérives étatiques, parfois à la limite du kafkaïen, de l’ordre établi (toujours hors-champ, invisible et multiple) avec qui le dialogue ne se résume qu’à une impasse. Un mur. Une impossibilité. Impossibilité de s’exprimer, d’être soi-même, de contredire. Et si vous êtes une femme, c’est encore pire. À tous les âges, de l’école au cercle professionnel, ne s’imposent jusqu’au ridicule (ou au tragique : la mort de Mahsa Jina Amini pour un voile mal placé) ces mêmes règles répressives et ces commandements religieux abrutissants.
Khatami l’a dit : « La génération née après la guerre Irak-Iran est très courageuse. Elle n’a peur de rien et va jusqu’à mettre sa vie en danger. Les prisons sont pleines de jeunes et des centaines d’entre eux sont exécutées chaque année. C’est une sorte d’enfer ». Et cet enfer, ici nous en avons un aperçu. Aperçu infime à travers le quotidien de ces Iraniennes et Iraniens aux prises avec un pouvoir sclérosé, parano, qu’Asgari et Khatami nous donnent à voir entre malaise de certaines situations et humour à froid, un humour du désespoir. Quotidien sous cloche de ce pays-prison aux habitants si chaleureux, à la culture et à l’art si fascinants. Ce pays-prison qu’est devenu l’Iran. Ce pays-prison comme tant d’autres.
Michaël Pigé