Sean Price Williams livre avec The Sweet East un premier long métrage aux airs de faux documentaire, plein de tendresse et de poésie, avec, en fond, une satire foutraque d’une Amérique totalement paumée.
Longtemps chef opérateur de la crème du cinéma indépendant américain (Alex Ross Perry, les frères Safdie), Sean Price Williams livre avec The Sweet East son premier long métrage, dans lequel on retrouvera la quintessence de cet esprit : filmé en 16mm, éclairé à l’arrache, le résultat semble exhumé des années 70 avec un grain à l’ancienne, en osmose parfaite avec la virée libertaire de sa protagoniste.
La solaire Talia Ryder, lycéenne en voyage scolaire, prend ainsi la tangente pour une fugue reprenant l’idéal hippie, mais réactualisé par le paysage contemporain des marges américaines. L’occasion de frayer avec un éventail très large d’allumés, rescapés abimés du Land of Opportunity, activistes, conspirationnistes, artistes, fanatiques de tout poil. Le ton est volontiers à la comédie, la légèreté et la disponibilité de l’héroïne permettant toutes les sorties de route, et un éventail savoureux d’allumés. Verbeux, énergique, construit par à-coups, le récit emprunte à la tonalité documentaire (images prises sur le vif, sans soin apporté à la lumière, caméra à l’épaule, montage vif et spontané), mais joue aussi des contraste par une atmosphère vaporeuse qui reproduit la perception béate des événements par la fugueuse. Si le film se présente évidemment comme une satire foutraque d’un pays totalement paumé – ne citant jamais Trump pour se situer dans un regard plus vaste sur la perdition contemporaine –, c’est dans sa tendresse et sa poésie qu’il parvient à se singulariser. La chanson d’ouverture par Lillian dans les toilettes du club annonce ainsi une sensibilité à fleur de peau, et colore un parcours où, à la manière d’un Persan arpentant la France du XVIIIe siècle, elle va trimballer un enthousiasme candide, échappant à chaque fois à l’emprise de ceux qui la convoitent. Car les dangers qu’elle affrontent sont sans cesse lénifiés par cette tonalité de l’apologue, transformant les tortionnaires potentiels ou les gourous low cost en êtres fragiles et pris à leur propre piège.
On saluera ici le très savoureux contre-emploi de Simon Rex qui, après son rôle de hardeur dans Red Rocket, se transforme avec une belle conviction en abstinent torturé.
L’errance justifie ainsi un voyage du temps présent à la géographie fluctuante, où les personnages de rencontre brillent toujours par un degré outrancièrement élevé de conviction quant à la validité de leurs conceptions. Et si l’on sent que les écarts peuvent quitter à tout moment le réalisme de départ (un plan projette ainsi Lillian dans un décor montagnard en surexposition hallucinée, pas loin de l’imagerie d’un Mandico), lorgnant du côté d’un Gregg Araki, l’essentiel reste rivé à l’odyssée intime d’une jeune fille ayant voulu découvrir le vaste monde. L’impuissance de ce dernier à réellement l’influencer, l’enfermer ou la souiller aura finalement nourri la force poétique de cet être libre, qui résumera ainsi son voyage : « Just kind of doing my own thing ».
Sergent Pepper