Après le formidable début qu’était Sarek, l’un des thrillers les plus forts parus en 2023, Ulf Kvensler confirme sa maîtrise avec Au nom du père, qui témoigne des mêmes qualités dans un contexte et sur un sujet bien différent…
C’est peu de dire que Sarek avait constitué l’un de nos grands chocs, et donc grands plaisirs de lecture de 2023 : la force psychologique de ce formidable huis clos en plein air, dans la nature sauvage du grand Nord suédois, nous avait profondément marqués, et ce d’autant plus que la démarche de son auteur, Ulf Kvensler se distinguait nettement de la grande majorité des polars / thrillers de notre époque. Pas de tueur / serial killer sur lequel on enquête, pas d’intrigue complexe aux multiples rebondissements, quasiment pas de violence. Simplement un affrontement psychologique intense dans une situation presque « ordinaire » (des vacances trekking entre copains…) qui tourne peu à peu très mal. Sarek était une merveille, et la question qui se posait dès lors était inévitable : Kvensler pouvait-il répéter son coup de force, sans tomber dans la redite ?
A cette question, Au nom du père apporte une réponse positive, et donc profondément satisfaisante. Et rassurante pour la suite de la carrière d’Ulf Kvensler. Même s’il est quand même « un peu » moins éprouvant que Sarek, Au nom du père est une autre réussite, dans un registre similaire d’intense « duel psychologique » (entre un père et son fils, cette fois), sans violence inutile et sans twist à la mode – même si, bien entendu, il nous réserve plusieurs surprises bien venues, mais jamais capillotractées.
Isak est un jeune homme qui a été violemment traumatisé dans son enfance du fait d’un incendie au cours duquel et sa mère et sa petite sœur ont péri. Qui plus est, son père, incapable d’affronter la destruction de sa famille, l’a abandonné aux bons soins de son grand-père maternel qui l’a élevé. Aujourd’hui, Isak a 25 as et vit une vie ordinaire tout en filant le grand amour avec Madde, une jeune femme qu’il a rencontrée et qui est devenue le centre de sa nouvelle existence. Un jour, le père d’Isak reprend contact avec lui, et lui demande de le rencontrer : que veut-il ? qu’essaie-t-il réellement de faire, après tant d’années ?
On l’imagine bien, ces retrouvailles inattendues avec un père bien différent de celui des souvenirs d’enfance d’Isak vont être l’occasion pour ce dernier de revenir sur le drame de l’incendie, et de se poser des questions essentielles sur ce qu’il attend réellement de la vie. Mais les mobiles de ce père surgi du passé sont-ils aussi clairs que ça ? Alors que le doute s’insère dans la tête d’Isak, tout semble changer autour de lui, et – comme dans Sarek – la paranoïa, attisée par les rêves quasi fantastiques qu’il fait chaque nuit, vient teinter son existence et la fait basculer progressivement dans la déraison. Jusqu’à ce que…
Il y a un moment dans Au nom du père où l’on craint que Kvensler ne reproduise les mécanismes de Sarek, avec un narrateur auquel on ne sait pas si on peut faire totalement confiance. Heureusement, Kvensler est trop intelligent pour amorcer le même genre de piège mental que dans son premier roman : non seulement il change le décor – on passe de l’aridité dangereuse des déserts glacés et montagneux du Grand Nord suédois à un univers confortable, riche et décadent -, mais le dénouement de l’intrigue empruntera un chemin bien différent.
Au nom du père est clairement la confirmation que nous attendions du talent d’Ulf Kvensler, un nom auquel nous devons désormais nous habituer, puisqu’il risque bien de figurer régulièrement au palmarès des meilleurs polars scandinaves, chaque année…
Eric Debarnot