Assurer la première partie de la tournée européenne de Depeche Mode a permis à Suzie Stapleton de faire découvrir à un public important sa musique et, surtout, son impressionnante voix. Nous avons profité de son passage à Paris pour lui poser quelques questions sur ses origines, et celle de sa musique…
Benzine : Suzie, tu viens d’Australie, de Melbourne…
Suzie : Je suis originaire de Sydney, mais j’ai passé 10 ans à Melbourne, où il y a une scène musicale plus intéressante : c’est un endroit formidable pour y vivre, mais très loin du reste du monde, donc j’ai déménagé en Grande-Bretagne en 2015. Ma grand-mère vivait dans le Sussex, près de Brighton, mon père y avait grandi, donc j’ai fini par revenir sur le territoire familial, après quelques années passées à Londres. Brighton est une petite ville, mais il s’y passe tellement de choses musicalement qu’on n’a pas l’impression que c’est petit !
Benzine : Quand as-tu commencé à faire de la musique ?
Suzie : J’ai toujours chanté quand j’étais une petite fille, en plus de la danse, mais ce n’est qu’à 14 ans que j’ai commencé à apprendre la guitare. Mais c’était difficile à l’époque, il n’y avait pas tous ces tutorials sur le Net, je n’avais sans doute pas un très bon professeur… Après une paire d’années, comme je n’étais pas dans un milieu artistique, j’ai laissé tomber. J’allais plutôt dans les raves, et à 16 ans j’ai fait le DJ, j’étais vraiment dans la dance music. C’est seulement que j’ai eu 20 ans, je me suis rendu compte qu’il me manquait ce sentiment de créer de la musique moi-même. Je suis allé dans une école d’audio-visuel, pour me retrouver dans un monde où j’étais entourée de musiciens. J’ai commencé à écrire, mon prof était guitariste, on a commencé à composer ensemble. Mais en fait, comme mes capacités en tant que guitariste étaient réduites, je chantais surtout. Après trois ans qui n’ont débouché sur rien, je suis partie vivre à Melbourne, j’ai fait quelques collaborations mais encore une fois, sans résultats. Je me suis alors rendu compte qu’il me fallait faire ça moi-même, ma confiance en moi, à la guitare, avait grandi, donc j’ai travaillé toute seule, enfin. Ça m’a donc pris pas mal d’années : ce n’est qu’à 27 ans que j’ai enfin donné mon premier concert !
Benzine : C’est difficile de relier toute cette histoire à la musique que tu fais aujourd’hui, en particulier avec l’importance des mots et la musique très rock que tu joues…
Suzie : Bon, j’écoutais aussi Soundgarden et Pearl Jam à mon adolescence, j’écrivais aussi de la poésie. A 6 ans je voulais être écrivain, mais je n’étais pas stimulée par mon entourage. Cette transition par les raves et le travail de DJ, c’était surtout une envie de faire la fête, de prendre des drogues. Et puis, quand tu arrêtes de prendre des drogues, cette musique ne te paraît plus très intéressante ! (rires). En fait, j’exagère, il y a beaucoup d’électro qui est intéressante, mais bon… J’ai un souvenir spécifique d’avoir croisé un jour un type qui se prélassait dans la rue, et qui a commencé à improviser une chanson à mon propos : ça a été un moment particulier, où je me suis rendu compte qu’il me manquait ça, cette création de mots, de musique. C’est là que j’ai décidé de m’y mettre !
Benzine : Ce qui frappe tout le monde quand on t’écoute pour la première fois, c’est ta voix, la qualité de ton chant. Est-ce que c’est quelque chose qui a été repéré tôt chez toi, ce chant ?
Suzie : Euh… oui, quand j’étais une petite fille, je chantais à l’école, je sentais que j’avais quelque chose, là. Mais ensuite, au collège, les garçons qui avaient des groupes ne voulaient pas me laisser chanter avec eux ! (rires) S’ils m’avaient laissé être dans leurs groupes, j’aurais pu débuter bien plus tôt qu’à 27 ans. Mais finalement, je ne savais pas comment faire… Alors, oui, quand j’étais toute seule, je chantais beaucoup, des heures entières, sur les disques que j’écoutais…
Benzine : Au concert de Depeche Mode, à l’Accor Arena, alors que le public est composé de fans absolus du groupe, pas très intéressé par les premières parties, tu as réussi à ce qu’on t’écoute avec attention, grâce à cette voix. C’était impressionnant… Ton album, en tous cas, est très fort, très frappant, parfois impressionnant de noirceur dans les thèmes qu’il développe…
Suzie : Oui, ce n’est pas un album très joyeux… Mais je n’ai jamais voulu écrire un concept album, j’ai juste une collection de chansons que j’avais. Bien sûr, cette chanson, We Are The Plague… je suis particulièrement intéressée par la situation de l’environnement, la destruction des écosystèmes, ce que nous faisons à notre planète… Mais en même temps, ce n’est pas totalement noir, le refrain dit : « We are blind love… » . Je crois que la plupart des gens sont soucieux de l’environnement, mais, étant donné la nature humaine, rien que coordonner un groupe de 10 personnes est difficile, alors imagine ! Comment nous coordonner au niveau planétaire pour arrêter de tout détruire, ça semble… impossible. Très frustrant… En ce moment, je ne regarde plus les nouvelles, je me sens engloutie… Au moment où j’ai écrit les chansons de l’album, il y avait ces incendies gigantesques partout, c’était horrible… Et Thylacine est une métaphore à propos de tout ça, cette espèce éteinte…
Benzine : C’est cet animal qu’on appelle aussi le diable de Tasmanie, non ?
Suzie : No, pas du tout, le diable de Tasmanie est toujours présent, alors que là, c’était une espèce de chien avec un pelage tigré. Le dernier est mort en captivité dans les années 50 je crois. Ils ont été chassés jusqu’à être annihilés, il y avait des récompenses pour les fermiers qui les tuaient…
Benzine : Il semble qu’il y a pas mal de gens connus dans le Rock qui te soutiennent, qui respectent ta musique.
Suzie : Bon, il faut relativiser, au cours des années, c’est vrai que j’ai croisé pas mal de gens, mais, bon…
Benzine : Et quand est-ce qu’on peut espérer un nouvel album ?
Suzie : Dès que la tournée est finie, je vais me mettre à enregistrer les chansons que j’ai, oui. A cause du Covid et de l’isolement, j’ai écrit pas mal de chansons plutôt dépouillées, délicates, et on va voir quoi en faire avec un groupe. Mais je pense que l’album sera plus un mélange de choses. Ceci dit, je reste ouverte, et je n’ai pas encore beaucoup pensé au prochain album, je préfère me concentrer sur les concerts en ce moment. J’espère même revenir jouer à Paris avant la fin de l’année.
Propos recueillis par Eric Debarnot le 4 mars
Suzie Stapleton – We Are The Plague : « Nous sommes l’épidémie, nous sommes l’infection »