La postérité retiendra de ce Crabe aux pinces d’or, créé durant l’occupation allemande, et non dénué de faiblesses, que c’est « le Tintin » où Hergé arrive à la maîtrise d’un nouveau style graphique et narratif qui donnera naissance aux « grands classiques »… mais surtout que c’est l’acte de naissance d’un personnage véritablement génial, le Capitaine Haddock.
Mai 1940 : les Nazis envahissent le petit royaume de Belgique, et le monde s’écroule autour de Hergé : commencent les années grises, qui verront Hergé assumer certaines positions discutables pour survivre… même si, en cela, il ne différera pas de 95% de la population belge ou française. Professionnellement, il doit trouver comment continuer à travailler malgré la fermeture du Petit Vingtième, et rejoint donc le journal Le Soir, instrument de la propagande nazie… Le projet de Tintin au pays de l’or noir avait déjà été mis de côté, car trop « politique », et Hergé travaille depuis quelques mois sur ce Crabe aux pinces d’or, qui montre un Tintin isolé (protégé ?) de la noire réalité du monde, vivant une petite aventure convenue, où Hergé bégaye par rapport à ses précédents albums.
Mais, si le lecteur pourra tirer une certaine frustration de cette prudence vaguement lénifiante, Le Crabe aux pinces d’or est une œuvre charnière, donc capitale, dans l’histoire de ce monument qu’est l’œuvre de Hergé. D’abord, le graphisme y atteint un premier palier de qualité époustouflant, nous offrant un nouveau Tintin qu’on pourrait qualifier de « pré-classique », certes déjà plus « sage », moins humain que sa version antérieure, mais littéralement imparable.
Ensuite, la narration devient réellement fluide, et le rythme frénétique qui caractérisait jusque là les aventures de notre héros se ralentit : certaines pages nous donnent envie, pour la première fois, de nous arrêter pour les savourer, pour les contempler… L’âge des chefs d’œuvre n’est plus très loin.
Et puis il y a ce coup de génie absolu, quand Hergé crée le Capitaine Haddock, un personnage « bigger than life » dont l’alcoolisme sauvage et catastrophique est le seul véritable vecteur de fiction dans l’album. Le crabe aux pinces d’or alterne donc les scènes dantesques de delirium tremens qui traumatiseront bien des enfants (qui aura pu oublier, quand il avait 10 ans, les efforts de Haddock pour arracher la tête de Tintin qu’il croit être un bouchon de champagne ?), et les moments presque intimes, qui scellent la naissance d’une amitié exceptionnelle entre Haddock et Tintin. Alors, par rapport à ce véritable miracle littéraire, les nombreuses faiblesses du Crabe aux Pinces d’Or nous paraissent finalement bien peu importantes.
PS : J’ajoute à titre personnel que, pour moi qui suis né à peu près où elles se déroulent, dans le Sahara frontalier entre Maroc et Algérie, les belles scènes de désert du livre m’ont toujours paru enchanteresses…
Eric Debarnot
Le Crabe aux pinces d’or
Textes et dessins : Hergé
Éditeur : Casterman
62 pages dans la version, en couleurs, de 1944
105 pages dans la version, en noir et blanc, de 1941
Merci pour cette analyse.
Une fan de Tintin .
Waar is nr 8? De Scepter van Ottokar (Le Sceptre D’Ottokar)?
Sorry, you are right, there as a mistake in the link. It is now corrected !
https://www.benzinemag.net/2024/03/13/tous-les-albums-de-tintin-8-le-sceptre-dottokar-1939/