Un grand classique de la littérature polonaise adapté en rotoscopie, un format qui mélange ici peinture et prises de vue réelles, permettant ainsi une exacerbation des enjeux romanesques.
Après le retentissement de La Passion Van Gogh, DK et Hugh Welchman ont souhaité mettre leur technique visuelle mélangeant peinture et animation au service d’un récit plus strictement romanesque. Le couple adapte ainsi un grand classique de la littérature polonaise (Les Paysans, de Władysław Reymont), évoquant, à la manière de La Terre de Zola, la vie du monde rural au rythme des saisons et la violence d’un milieu où la tradition ne souffre aucun écart.
La rotoscopie, consistant ici à peindre par-dessus des prises de vues réelles, notamment pour tout ce qui concerne les visages des comédiens, exigera peut-être un petit temps d’adaptation, soulevant notamment la question de l’intérêt à appliquer des couches de peinture tout en gardant le réalisme du film originel. La réponse s’impose dans un premier temps par le traitement de tout ce qui entoure les personnages, dans un récit rythmé par les quatre saisons, par l’entremise de superbes transitions attestant des métamorphoses de la nature environnante. Les champs, forêts, rivières et chaumières, vivier et matière première du monde paysan, s’animent ainsi d’une vie propre, profuse, variant sous les climats changeants de la fertilité à l’hostilité, burinant les peaux et harassant les travailleurs dont on comprend mieux la vigueur, la puissance et la ténacité, mais aussi la brutalité.
Le recours à la peinture, animée en accord avec les artistes de l’époque évoquée, permet ainsi une exacerbation des enjeux romanesques, et en osmose avec une musique hypnotique, donne au récit une impressionnante ampleur. Le destin de Jagna, femme libre, convoitée, jalousée, possédée, abîmée, suit les contorsions d’un trait fluctuant, chargé de couleurs vives et d’un dynamisme impossible à contenir.
La violence des passions les plus élémentaires – désir, convoitise, avarice, vengeance, se coule alors dans une vie rythmée par le labeur et un folklore qui, loin d’offrir un répit aux villageois, exacerbe les tensions. Les fêtes, sous les flots d’alcool et une musique rythmée en diable explosent alors en catharsis flamboyantes, où les travelings circulaires quittent un temps les visages possédés par l’euphorie pour aller colorer la nuit froide des étreintes passionnées avant que l’incendie des corps ne se propage en destruction générale.
La jeune fille et les paysans n’a pas l’ambition de revisiter un classique – si ce n’est, de l’aveu des créateurs, en insistant sur un angle plus féminin, voire féministe, que dans le matériau originel approchant les 1000 pages. Il s’agit au contraire d’embrasser un folklore et d’intégrer un monde révolu, représenté autrefois par l’art pictural, et de lui donner vie en y insufflant mouvement et musique. Entre le lyrisme des récits fondateurs et la fascination pour une imagerie dérivant par instants presque vers le fantastique (la mascarade, qui n’est pas sans évoquer les transes d’un Midsommar), la stridence des cordes et les chœurs habités de femmes, témoins mais aussi commères pouvant à tout moment sortir les crocs, le milieu décrit tangue, enivre et détruit son personnage autant qu’il fascine, emporte et éprouve le spectateur. Un véritable tour de force.
Sergent Pepper