Avec ce concert léger, complexe et régulièrement bouleversant, nos chers Nits ont non seulement célébré avec finesse et grâce leurs cinquante ans d’existence, mais ils nous ont fait signer un nouveau pacte d’amour pour les cinquante prochaines années !
50 ans ! Un demi-siècle déjà que les Nits existent, composent, et surtout interprètent leurs chansons sur scène ! Car, si les albums de nos Bataves préférés sont toujours passionnants, et même parfois très, très beaux (In The Dutch Mountains, Ting, Giant Normal Dwarf, par exemple), on ne connaît pas vraiment les Nits tant qu’on n’a pas assisté à l’un de leurs concerts. C’est en live qu’on saisit le génie (non, le mot n’est pas usurpé, cette fois !) de Henk, Rob et Robert. La force émotionnelle, l’énergie qui se nichent derrière ces petites pièces musicales profondément originales, balayant un large spectre musical de la pop beatlesienne à l’expérimentation la plus audacieuse, en passant par la new wave, l’indie pop ou l’ambient music. La virtuosité de ces musiciens hors pair, qu’ils n’utilisent jamais pour complexifier leurs morceaux et montrer leur talent, mais au contraire pour les rendre plus aimables, plus souriants, plus joueurs. Car, même quand les textes de Henk Hofstede traitent de sujets graves – les massacres de la guerre civile espagnole, l’occupation nazie en Hollande, les enfants-soldats,… – la musique des Nits est merveilleusement vivante.
50 ans ! Les années n’ont pas été plus tendres pour les corps des Nits que pour les nôtres, à nous, public largement vieillissant et sagement assis dans un Trianon pour une fois équipé de sièges (numérotés, qui plus est !). Mais si nous sommes restés un peu plus jeunes dans nos cœurs et dans notre âme que les autres, c’est bien aussi grâce aux Nits, à leur fantaisie, leur joie et leur imagination, qui est toujours celle de l’enfance radieuse. Et ce soir, soyons honnêtes, nous n’étions pas là pour fêter un anniversaire de plus, mais tout simplement pour être, deux heures et quelques durant, heureux. Et pour partager ce bonheur avec des amis.
20h10 : le premier set – car la soirée est divisée en deux, avec un entracte au milieu – débute par l’interprétation du dernier EP, Tree House Fire, une pièce musicale en six morceaux qui évoque avec tristesse, mais aussi une sorte de sérénité, la destruction dans un incendie de l’univers du groupe : la « maison marron », leur studio, avec leurs instruments, leurs souvenirs et leurs archives. Ce n’est pas la manière la plus accueillante de commencer un concert, surtout pour ceux qui ne seraient pas familiers avec leur musique. Mais c’est sans doute pour les Nits une façon d’exorciser les souvenirs douloureux de cette épreuve – être dépouillé de son passé, de ses souvenirs, quand on est septuagénaire – pour pouvoir continuer. Et puis, dans ce premier set, il y a The House, A Touch of Henry Moore, The Infinite Shoeblack et Nescio (le « tube » du groupe en France, le seul) : quatre chansons inouïes, réinterprétées, comme le groupe le fait à chaque tournée, de manière à créer de nouvelles surprises, de nouvelles sensations à l’écoute de ces morceaux qui ont accompagné des décennies de nos vies. Quatre chansons parfaites qui oblitèrent sans peine les postures qui se voutent, les rides qui se creusent, les cheveux qui se raréfient : oui, nous parlons ici de nous autant que du groupe…
Après cinquante minutes, une pause d’une vingtaine d’autres bien plus longues minutes, et on attaque ce qui sera, on le sent, la plus belle partie de plaisir de la soirée. Et qui débute de manière enjouée par un dA dA dA que le groupe ne joue pas si souvent que ça, sans doute parce que c’est l’une de leurs compositions les moins « légères » (considérons-la comme le Ob-La-Di Ob-La-Da de nos héros hollandais !). Mais ce qui va suivre, dix chansons parfaites et parfaitement interprétées, dépassera nos attentes en termes de subtilité, de complexité et de finesse : faisant l’impasse sur une grande partie des titres populaires de leur répertoire (pas de Sketches of Spain, par exemple !) alors qu’on aurait logiquement attendu un best of pour ce cadeau d’anniversaire, la setlist va nous transporter à travers une multitude d’émotions ténues, fragiles, parfois même miraculeuses.
Bien entendu, même s’il y aura eu une paire de standing ovations pendant la soirée, ce concert s’est forcément vécu de manière personnelle, intime même. Chacun d’entre nous aura vibré, soupiré, frémi, souri à des moments différents. Pour nous, nous retiendrons particulièrement : l’électricité rampante, presque menaçante de Two Skaters (avec la référence chérie au Velvet Underground) ; les onomatopées délirantes évoquant la grand-mère tricoteuse de Yellow Socks & Angst ; l’émotion poignante de Three Sisters, extrait de l’injustement oublié Alankomaat (« Three sisters in the back of the room / Three sisters hand in hand at the zoo / Frightened by the world ») ; le refrain sifflé du rare Walter & Connie, instrumental transcendé ce soir ; l’hommage sincère à notre ville de Paris de les Nuits ; la splendeur absolue de Beromünster, drôle de chanson entre nostalgie et drame contenu à côté de laquelle nous étions complètement passés… « Sending my love to you… I was handsome, you were beautiful »…
Aucun grand classique donc parmi ces moments de grâce : on pourra regretter qu’avec les années, les Nits déploient moins la puissance de feu, l’énergie qu’on leur a connu à la grande époque (quelqu’un ici se souvient de l’indépassable concert de la tournée Ting au Bataclan, le 25 novembre 1992 ?). Moins ? Oui, certes, mais on aura évidemment eu droit, en final, et avec deux rappels, au trio parfait de Cars & Cars, In The Dutch Mountains et Adieu Sweet Bahnhof…
… Histoire de faire le plein de bonheur et de forces pour les cinquante prochaines années. Allez, on se trouve en 2074 ?
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil
A Soignies en Belgique, nous avons eu droit à Sketches of Spain. Très bel article qui retranscrit bien notre ressenti. A 2074 donc….
Merci pour cet excellent Live report qui retranscrit à merveille les sensations éprouvées lors de ce concert magique.
Les Nits nous prouve qu’on peut garder un niveau d’excellence pendant des décennies et continuer à explorer et réinventer une pop spécifiquement européenne puis à la transcender sur scène.
Pour ma part, c’est « The Bauhaus Chair » qui m’a foutu les poils….