Ceux qui ont eu la chance d’être le 14 octobre à l’Elysée Montmartre pour un concert « intimiste » (toutes proportions gardées) de Bowie n’oublieront sans doute jamais cette soirée. Pour tous les autres, il reste l’album Something In The Air…
En cette fin de siècle, après le rugissant EART HL I NG, Bowie sort hours, un album qui ronronne et rentre gentiment ses griffes au coin du feu. C’est alors l’occasion d’une tournée promotionnelle dans des salles intimistes. Parmi les trois performances disponibles officiellement, celle d’une escapade parisienne s’impose de toute évidence par sa classe. Bowie In Paris donc…
En 1999, Bowie chante Without You I Am Nothing avec Placebo, jeune groupe alors dans une période de grâce totale. Avec Brian Molko, visiblement en pleine extase (on le serait à moins à sa place…), Bowie s’offre un single très racé qui n’augure en rien du prochain album, hours… Les fans eurent en effet droit à quelques titres lors de l’émission VH1 Storytellers : Thursday’s Child, Seven et Survive annoncent la couleur se baladant avec une belle indolence. Filmée en août pour une chaine de télévision US, la performance – parue en 2009 – alterne chansons et confidences. Bowie ressort aussi quelques classiques, tels qu’un Word on a Wing assez planant ou un Drive-in Saturday avec des choristes… plutôt insistantes… Et il exhume de l’année 1966 un très nerveux Can’t Help Thinking About Me, premier titre crédité en tant que David Bowie : « les pires paroles que j’ai jamais écrites » avoue-t-il…. China Girl est joliment introduite et danse bien, au final. I Can’t Read se dévoile calmement en acoustique. Always Crashing In the Same Car trace sa route à une allure rock. Dans le lot des nouvelles chansons, seul If I Dreaming My Life se distingue de la version studio et réussit à surprendre agréablement. Retenons surtout qu’il s’agit de la dernière apparition de Reeves Gabrels aux côtés de Bowie, après dix années de collaboration très intense. Quelques jours après ce concert, le guitariste planta David, surprenant ce dernier à son propre jeu, Bowie ayant la réputation redoutable de rompre soudainement sans avoir la main qui tremble : ainsi Erdal Kizilcay garde un souvenir tellement amer de la fin de leur collaboration qu’il déclara en 2013 ne plus rien vouloir écouter de la star. Quant à Gabrels, il évoqua la peur de l’usure et le souhait de renouveau, l’envie de suivre sa voie en sortant de l’ombre de Bowie. Quelques semaines plus tard, la chanson Jewel réunit pourtant les deux hommes sur l’album solo du guitariste, intitulé Ulysse (Della Notte), avec Dave Grohl et Franck Black… et ce titre grunge réveille méchamment du bien lisse hours qui aurait mérité un tel coup de pied au cul pour émerger de sa torpeur…
Bowie recruta au pied levé Page Hamilton, du groupe Helmet alors dans une très mauvaise passe (« David Bowie m’a vraiment sauvé la vie ») avant de partir pour la tournée prévue, avec une date à Paris. En 2020, Parlophone publia l’album live Something In The Air, enregistré à l’Elysée-Montmartre, petite salle (pour Bowie…) d’un millier de places. Quelques heures avant le concert parisien, David fut décoré des insignes de Commandeur des Arts et Lettres par la ministre de la culture, Catherine Trautmann. « Merci beaucoup, Paris a toujours été comme une deuxième patrie », glissa Bowie. Le concert exclusif du 14 octobre fut donc joué pour des centaines d’invités et des chanceux ayant patienté des heures durant sur le boulevard de Rochechouart pour obtenir le bracelet jaune, le fameux sésame. Une vidéo de qualité, aisément disponible, dévoile un peu plus de la soirée, d’ailleurs.
A 20h30 pile, Bowie monte sur scène avec un pull turquoise, souriant à pleines dents (totalement refaites) sous la lumière de spots roses et bleus. En ouverture romantique, il dramatise en beauté le classique Life On Mars ?, seulement accompagné par Mike Garson. Le reste du groupe entre en scène pendant que Bowie plaisante avec le public en s’essayant au français : la scène vaut le détour tant il se montre facétieux, théâtral et ironique. Il évoque avec drôlerie une répétition avec son public, « mon public, le tout Paris »… Thursday’s Child suit alors sans surprise alors que hours vient de paraître. Bowie s’amuse ensuite à chambrer ses choristes qui se prêtent bien volontiers à un petit numéro comique. Puis l’intense Something In The Air vibre bien sur scène, avant que Word on a Wing, crooné avec application, ne convoque le splendide Station to Station. Bowie martèle ensuite Can’t Help Thinking About Me et accélère sur China Girl… Always Crashing In The Same Car revient dans la course et Survive reste dans l’esprit de l’album. Quand Bowie explique « qu’il avait beaucoup plus de cheveux et de maquillage à l’époque », il annonce l’air de rienChanges, qui succéde à un épique Drive-In Saturday : la surprise et l’émotion sont palpables.
L’artiste a largement dépassé le créneau initial de 45 minutes quand sonne l’heure des rappels. La cigarette à la main, Bowie évoque à l’occasion ses fiançailles à Paris sur le ton de la fausse confidence, et annonce : « Oh Paris ! On va vous jouer de nouveaux titres, des vieux et d’autres encore plus obscurs… THAT’S OKAY ? » (à peine surjoué… quel cabotin ce David, quand même…!). On commence par la balade Seven à la guitare, fidèle à version de hours. Surgit alors sur scène un énorme Repetition bien cogné par Sterling Campbell, un titre très déphasé au passage – les choristes donnant bien l’ambiance – et torturé à souhait dans l’esprit de la pochette de Lodger… Le sommet du concert ? A la guitare encore, Bowie s’amuse ensuite à glisser quelques mesures de Width Of A Circle (frissons garantis dans le public, et rire de David très content de son effet…) dans l’intro de l’excellente chanson I Can’ Read, titre dépouillé ce soir de son habillage Tin Machine. Puis le show s’achève sur les nerveux The Pretty Things Are Going To Hell – bien plus chaud que la version de l’album – et un Rebel Rebel assez prévisible, voire franchement convenu en final : « Number One… Thank you. God Bless ! ». Bowie disparait dans la pénombre laissant les chanceux sous le charme.
Dans une démarche incompréhensible, Parlophone publia dans le même coffret Live Aventures le concert new yorkais du Kit Kat Club, enregistré un mois après la performance parisienne ! A deux exceptions près – Stay dans une version plus aérienne que celle de Gabrels en 1997 – et I Am Afraid of Americans, les fans retrouvent les mêmes titres joués sur les deux disques précédents. Avec sa jolie pochette, cet album, déjà disponible en bootleg depuis des années, paraît franchement similaire voire dispensable. Pour les complétistes de toute évidence, c’est une autre affaire… Un nouveau fétiche qui rejoint tant d’autres sur les étagères.
En 1999, Bowie se repose visiblement sur ses lauriers retrouvés après les tournées Outside et EART HL I NG, véritablement enflammées. Est-ce vraiment un hasard si Reeves Gabrels claqua la porte à l’époque ? Avec élégance, Bowie préfère désormais jouer sur du velours en caressant un public conquis d’avance. Mike Garson confie que le concert parisien demeure l’un de ses meilleurs souvenirs avec Bowie : on le croit bien volontiers. Cette soirée intimiste témoigne d’un nouveau tournant dans l’odyssée Bowie désormais plus classique, moins aventureuse.
Amaury de Lauzanne