On attendait au tournant l’un des jeunes groupes français les plus excitants que nous ayons vus sur scène ces dernières années. Leur premier album, Don’t Be Boring, est la confirmation que nous attentions : maximum rock’n’roll !
Nous n’oublierons pas de sitôt notre première rencontre avec Dynamite Shakers : c’était à Petit Bain, en novembre 2021 – il y a plus de trois ans déjà – et quatre petits (vraiment) jeunes ouvraient pour les vétérans du garage rock, les Fleshtones… qui eurent du mal à surpasser cette première partie explosive (évidemment…) en dépit de leur expérience et de la ferveur de leur fidèle public. Dynamite Shakers avaient tout : les chansons, tranchantes et survoltées, l’énergie, la classe,… et ce qui semblait être bien plus de « technique » que les grands anciens dont ils se réclamaient, comme nos chers Dogs. Les ayant revus sur scène, leur ayant parlé et découvert leurs origines – la Vendée, l’amitié avec les Fleshtones, justement -, nous étions de plus en plus persuadés de tenir là un futur groupe « classique » que le monde entier (enfin, le monde entier de plus en plus réduit des « rockers ») nous envierait. D’où notre (longue) attente de ce premier album, Don’t Be Boring, qui sort enfin, et notre (légère) angoisse au moment de le poser sur la platine…
… car à force de jouer avec cette dynamite instable que constitue l’héritage rock’n’rollien, tout ça pouvait très bien leur « péter à la gueule »… Ou, pire encore, s’avérer un « pétard mouillé ». Car, nous le savons tous, le risque du passage à l’album est énorme, pour les grands groupes live : ou bien lisser leur fureur naturelle par les artifices de l’enregistrement en studio (et les premiers titres enregistrés jusque là par Dynamite Shakers tombaient dans cette catégorie), ou bien essayer de rejouer en studio comme sur scène, et ne produire qu’un succédané inférieur. Pour échapper à ces travers, à cette malédiction, il fallait une oreille extérieure qui leur confirme que le chemin était bien bon, et c’est Jim Diamond, le bassiste des Dirtbombs, qui s’y est collé…
Le groupe raconte que Don’t Be Boring a mis deux ans à se faire, et que, au delà de la cohérence des morceaux pour éviter de livrer une collection de titres épars, ils ont veillé à ce que chacun d’entre eux contribue à la construction de l’album : ce genre d’approche « démocratique » ne marche pas souvent, mais ici, sans doute parce que tous les titres ont été « testés » encore et encore sur scène afin d’arriver à trouver à chaque fois et la construction idéale et l’alchimie parfaite entre les quatre musiciens, le résultat est plus que probant. Oui, au delà du talent, faire du bon, du très bon rock’n’roll, c’est aussi du boulot !
D’ailleurs, l’intro de Blow My Mind, le premier titre, confirme « la recette Dynamite Shakers » : « I’ve been trying to find the balance for almost two years / The balance between these things that drive me and you » (J’essaye de trouver l’équilibre depuis presque deux ans / L’équilibre entre ces choses qui nous animent toi et moi). Et Blow My Mind illustre parfaitement que la recette fonctionne : on retrouve la grâce des premiers Plimsouls, avec un naturel confondant, comme si tout le travail effectué en amont disparaissait derrière l’évidence absolue des riffs. C’est un classique instantané.
What’s Going On fait monter la pression à un rythme encore plus élevé : avec de l’agressivité en plus, ça pourrait faire un tube des Hives, mais on sait que le créneau de Dynamite Shakers, c’est l’élégance classique plus que la furia punk. Et on ne leur reprochera pas ! Le single Ticket Girl, chronique des abus sentimentaux qui va bien avec l’âge des musiciens, évoque non seulement la préhistoire du rock’n’roll, mais fait écho à la musique que jouait Miles Kane à ses débuts avec The Rascals, une référence dans le classicisme rock qui fait honneur à Dynamite Shakers. Split Brain conclut ce premier carré gagnant de titres énervés, fougueux, juvéniles, sans une seconde de baisse d’intensité.
The Gates To That Sweet Song Of Yours offre une première respiration à l’album, une belle chanson romantique où le chant de Lila-Rose Attard, la superbe bassiste du groupe, fait littéralement merveille : c’est une réussite totale, qui montre ue le groupe a d’autres cordes à son arc que le rock’n’roll pur et dur (… même si la seconde partie de la chanson monte en intensité !). Look How Fast It Goes revient efficacement au garage rock lourd et agressif, et sur le refrain, la voix d’Elouan Davy évoque à nouveau celle de Miles Kane, ce qui est loin d’être un problème.
On frôle le blues rock avec The French Top Ten, là encore une porte ouverte sur d’autres styles musicaux dans lesquels Dynamite Shakers sont tout aussi convaincants, en particulier grâce à la virtuosité des solos de Calvin Tulet, guitariste inspiré de bout en bout de l’album. Chronique légère des nuits rock’n’roll agitée, voici une chanson qui rassure quand à la jeunesse française : « Sometimes there’re nights, there are stupid nights / There’re already in the back starting to fight / People are kids, discussions pick up speed / When our music gets away from the french top ten » (Parfois il y a des nuits, il y a des nuits débiles / Il y en a déjà dans le fond qui commencent à se battre / Les gens sont des gamins, les discussions s’accélèrent / Quand notre musique s’éloigne du top ten français)…
I Can’t Wait For You marque le retour du groupe aux « affaires habituelles » : on est dans ce qui est souvent le ventre mou des albums, le milieu de la seconde face, mais ici, aucune baisse de tension, même avec un pont mélodique au milieu de la chanson. Ridiculous est l’arme fatale ultime, un riff méchant, un texte agressif, et un refrain facile à brailler en coeur… Ça a aussi tout d’un règlement de compte très personnel : « She says she’s a DJ and a teacher / She’s a robber, she likes stealing things / She says she likes the band younger than her / She says it makes the stealing easier / Ridiculous, you stupid girl » (Elle dit qu’elle est DJ et enseignante / C’est une voleuse, elle aime voler des choses / Elle dit qu’elle aime le groupe plus jeune qu’elle / Elle dit que ça rend le vol plus facile / Ridicule, espèce de fille stupide). L’un des meilleurs titres de Don’t Be Boring…
Et on se quitte avec The Bell Behind The Door, un titre plus long que les autres, qu’on connaissait déjà, et qui trouve une jolie place ici, comme une sorte de résumé musical de tout ce que le groupe représente, une déclaration d’intention, basée sur une expérience banale de voisins irrités par le bruit d’une soirée entre jeunes.
Car nos Dynamite Shakers sont comme ça, jeunes, faisant du bruit, et plus particulièrement ce genre de bruit qui n’entre pas dans le Top 10 français. Comment ne pas les aimer ? Pardon : comment ne pas les adorer ?
Eric Debarnot