Lesley Blanch, première épouse de Romain Gary, raconte comment un voyageur, ami des ses parents, lui a transmis la passion pour la Russie et surtout la Sibérie et son train fabuleux. Une magnifique page d’histoire, de littérature et d’amour. Un grand bol d’air pur dans le steppes et la toundra. l’expression d’une passion dévorante…
Lesley Blanch est la première épouse de Romain Gary, elle est née à Londres, au début du vingtième siècle, où ses parents recevaient assez souvent, de façon plutôt irrégulière, un étranger qu’ils appelaient le Voyageur. Cet étranger au faciès asiatique et au crâne chauve racontait son monde à la petite Lesly âgée tout juste de quatre ans. Il lui racontait la Russie, la Sibérie surtout avec son fabuleux train : le Transsibérien. Il décrivait aussi la vie dans les grandes steppes de l’Asie centrale où il avait trouvé quatre épouses successives, toutes venues de peuples différents. Il évoquait les Mongols de Gengis Khan et tous les peuples des hordes asiatiques : Kalmouks, Bouriates, Kirghizes, …, qui vivaient plus souvent sur leurs chevaux que sur leurs propres jambes. La petite Lesley buvait ses paroles avec extase et reconstruisait dans sa tête ses paysages enchanteurs peuplés de hordes bariolées. Elle était follement passionnée par la Sibérie et son train de légende. Elle voulait y aller, elle était particulièrement têtue, elle n’en démordait pas.
Alors qu’elle n’avait qu’à peine seize ans, ses parents l’ont laissée visiter Paris avec le Voyageur et un chaperon qui n’a pas pu empêcher le monsieur de séduire la demoiselle. Il lui a fait découvrir le Paris des émigrés russes ayant fui la Révolution de 1917, ces gens désenchantés, désargentés, déchus mais toujours flamboyants et excessifs en tout comme tout bon Russe qui se respecte. A sa majorité, la jeune fille a épousé son voyageur qui lui a offert un voyage en Corse, en Italie et sur la Côte d’Azur où de nombreux Russes étaient aussi réfugiés. Lesley le pressait toujours de l’emmener en Sibérie mais il prétextait qu’il ne pouvait pays y aller, ses activités occultes l’en empêchaient probablement.
Le Voyageur disparut brusquement comme chaque fois qu’il venait en visite mais cette fois, il ne reparut pas. Lesley, elle, quelques années plus tard, au début des années trente, réussi à se rendre en URSS, où elle visita Leningrad et Moscou mais ne put sortir du programme de ce voyage, elle revint avec un réelle frustration. Quinze années plus tard, elle fit un nouveau périple en URSS mais cette fois dans les petits villages de Russie qui ont vu naître les grands auteurs qui la passionnaient et qu’elle lit et relit sans cesse, de même que de très nombreux ouvrages sur la Russie, ses peuples, son histoire, ses mœurs, son folklore, … Sa passion pour cet immense pays et ses peuples si divers ne fit que croître.
C’est la quarantaine passée qu’elle rencontra Romain Gary, l’épousa et l’accompagna dans son périple diplomatique à travers le monde dans les ambassades, consulats et légations où il fut affecté, mais jamais en Russie. Sa relation avec le grand écrivain s’étiola peu à peu, elle reprit sa vie d’errance à travers le monde où elle voyagea très régulièrement et finit par obtenir un billet pour voyager dans le Transsibérien de Saint-Pétersbourg à Vladivostok mais elle n’acheva pas le ce voyage trop long, elle préféra visiter Irkoutsk et sa région où elle recueillit les derniers témoignages d’une personnes ayant connu son ex-mari voyageur.
Ce livre est un véritable tourbillon qui balaie tout sur son passage en une prose flamboyante, dans un style majestueux, comme le Gara, le Koultouk ou le Bargouzine emportant tout ce qui traîne dans la toundra sibérienne. C’est un livre d’amour pour une nation et pour un homme fantasque et fantastique qui a su faire vivre son pays dans l’esprit d’une gamine de quatre ans qui ne l’a jamais oublié jusqu’à sa mort à plus de cent ans. C’est l’expression d’une passion à l’état pur. C’est à la fois un livre d’histoire, d’ethnologie, de géographie, même si c’est une fiction, c’est une belle page d’histoire pour ceux qui veulent connaître ce pays particulièrement ceux qui veulent sonder la fameuse « âme russe » et essayer de comprendre le destin de ce pays de tous les abus et de tous les excès, sa culture et ses mœurs. Lesley a, comme moi, lu Michel Strogoff, il lui a permis de suivre l’itinéraire qui conduisait aux confins de la Sibérie comme il me permet encore aujourd’hui, plus de soixante ans après ma lecture, de situer certaines villes au long de cet itinéraire. Mais, elle, a lu aussi toute la littérature russe, elle raconte une foultitude de détails et anecdotes puisées dans ces textes et dans les films réalisés sur la Russie éternelle.
Lire ce livre c’est galoper dans les steppes asiatiques derrière les Mongoles, les Bouriates, les Kalmouks, les Kirghizes, …, traîner les fers avec les forçats en route vers le goulag, batailler avec ou contre les Cosaques, Les Rouges ou les Blancs, c’est déclamer des textes majestueux de Pouchkine, Dostoïevski, Tolstoï, Gogol, Gorki et tellement d’autres, C’est aussi boire et manger à démesure et chanter et aimer comme seuls savent le faire les Russes quand ils ont des bleus à l’âme.
Denis Billamboz