« Routines » de Fabien Truong : Un autre jour en France

Polar, critique sociale et roman sur les faux-semblants, Routines est une belle réussite qui ausculte la France d’aujourd’hui avec acuité et ironie. Un premier roman à découvrir aux éditions Rivages.

Fabien Truong
© PatriceNormand Leextra copyr

Tout commence par un meurtre… Comme dans tous les romans policiers, c’est bien la mort qui marque le point de départ du récit. Mais on comprend dès les premières pages de Routines que Fabien Truong va faire dévier la narration de son axe traditionnel : si l’identité de la victime n’est pas donnée, on connaît d’emblée celle du tueur. Tibor vient de donner la mort. Pourtant, comme on le découvre par la suite, Tibor est un jeune homme a priori comme les autres. De retour dans la ville de son enfance, Cléricourt, il s’est installé avec sa fiancée, Coralie, la bibliothécaire locale. Diplômé en sociologie, Tibor est intelligent, cultivé mais il doit se contenter de petits boulots en intérim, faute d’un emploi adapté à ses études. Il lit L’Équipe, joue au futsal avec ses copains d’enfance… Bref, Tibor, c’est un peu monsieur tout le monde. Sauf que Tibor a tué et qu’il ne peut pas en parler. Alors, le jeune homme se crée un compte sur X et, sous le pseudonyme du « Serviteur », il poste un premier message dans lequel il revendique avoir tué plusieurs fois… A partir de là, tout s’emballe et tout le monde s’interroge : mais qui est ce « Serviteur » ? Un dangereux psychopathe ? Un lanceur d’alerte ? Et où sont passées les trois étudiantes dont on est sans nouvelles depuis plusieurs jours ?

RoutinesPour la police, la solution est des plus simples : parce que le « Serviteur » a utilisé le mot « décapitation » dans l’un de ses messages, il ne fait aucun doute que la piste du terrorisme est à privilégier.

Commence alors un réjouissant roman qui va multiplier les points de vue sur différents personnages (Tibor, Coralie, les amis de Tibor, les policiers, le maire de Cléricourt…). Routines brosse ainsi de la France un tableau plein d’ironie, mais pas dénué de tendresse pour autant.

Fabien Truong semble en fait avoir eu deux objectifs en écrivant Routines. Le premier consiste à raconter des petites tranches de vie, à peindre des portraits de personnages qui, pour certains, semblent volontairement archétypaux (l’édile ultra ambitieux, l’agent immobilier infidèle, etc.). Mais le romancier parvient tout de même à rendre tous ses personnages parfaitement crédibles, et parfois même très attachants. Il porte sur eux un regard dont l’acuité permet de cerner les qualités, mais aussi les défauts et les faiblesses. Et la narration conserve en permanence une distance qui autorise une observation globale des protagonistes de cette histoire ; une observation qui se veut critique, voire mordante.

En effet, et c’est ce qui constitue sans nul doute le second objectif de l’écrivain, Routines s’impose très vite comme une critique sociale de la France d’aujourd’hui. Qu’il s’agisse de l’immonde caisse de résonance que représentent souvent les réseaux sociaux (et en particulier X) ou du racisme ordinaire ou systémique, Routines cherche à ausculter les failles et les dérives d’une société écartelée entre ses routines aveuglantes et ses brusques emballements totalement factices. Le dénouement du roman – qu’on ne peut évidemment dévoiler – illustre parfaitement ce travers de notre époque. Alors que l’on se focalise trop souvent sur de pseudos événements ou des polémiques stériles (construites de toutes pièces), les causes les plus urgentes et les plus graves sont là, juste sous nos yeux – des yeux qui pourtant ne veulent pas les voir.

Avec ce premier roman, Fabien Truong, sociologue de formation, nous offre un roman aussi plaisant que juste et sévère avec notre époque.

Grégory Seyer

Routines
Roman de Fabien Truong
Editeur : Rivages
208 pages – 19 €
Date de parution : 6 mars 2024