Le retour de Beth Ditto, cette fois sous le format de son groupe Gossip, est une bénédiction en ces temps difficiles aux USA où les voix réactionnaires montent en puissance et où bien des acquis démocratiques sont remis en question. Mais Real Power a-t-il la force nécessaire pour servir porter un réel discours contre les troupes de Trump ?
Le monde va mal, et le retour violent de l’extrémisme réactionnaire frappe partout. Mais c’est sans doute aux USA que le phénomène est le plus symbolique, et potentiellement le plus inquiétant pour le reste de la planète : autour du gros clown sinistre de Trump, s’agite tout un univers de fanatiques n’ayant qu’un but, réduire la démocratie à la liberté de porter des armes et d’aller à la messe. C’est dans ce genre de contexte que la voix des artistes compte plus que jamais, et les plus anciens d’entre nous se souviennent que nombre de musiciens firent la différence à des moments où il fallait parler haut et fort pour défendre des droits menacés.
Dans ce contexte où de nombreuses avancées sur les droits des femmes et des minorités sexuelles, en particulier, sont remises en question, voire même effacées, le retour de Beth Dito, ex-égérie punk du mouvement LGBT+ qui a acquis une célébrité non négligeable est une excellente nouvelle : on se souvient évidemment que « l’hymne » qui la révéla, Standing In The Way of Control, avait été écrit pour défendre le droit au mariage de personnes de même sexe… Et le fait qu’elle revienne avec son groupe, Gossip, avec un album intitulé Real Power, envoie tous les bons signaux : la chanson éponyme a été écrite pour célébrer les manifestations spontanées du mouvement « Black Lives Matter » en 2020, et la capacité réelle du peuple à faire bouger les curseurs… et, aussi, l’excitation profonde que la réalisation de ce pouvoir fait naître en nous. « Somewhere in the night, a fire is burning / Energy is high, it’s getting real / Head is in the clouds, I’m moving mountains » (Quelque part dans la nuit, un feu brûle / L’énergie est élevée, ça devient vrai / Ma tête est dans les nuages, je déplace des montagnes). La chanson est forte, même si Beth Dito n’est ni Bob Dylan, ni Patti Smith, ni même Joe Strummer…
Il faut bien avouer qu’on retrouve largement sur ce sixième album, apparaissant quasi par surprise après un silence de 12 ans, ce qui faisait l’intérêt de Gossip, mais aussi ses limites… Comme si rien n’avait changé depuis 2012, alors que les musiciens avaient rompu leurs relations personnelles, et les ont depuis reprises : la musique de Gossip est restée la même, un mélange de disco / soul / électro, avec un soupçon désormais très (trop ?) léger d’esprit punk, le tout porté par la voix formidable de Beth Dito, qui sans être nullement une Amy Winehouse queer, fait le taff quand il s’agit d’injecter de l’âme dans des chansons pop.
Et c’est sans doute là que le bât blesse : on attendait un manifeste que les convictions politiques queer de la Dito embraserait, et passé les deux premiers titres, dont le glorieux Act of God, irrésistible dans une approche « Northern Soul meets rock » qui peut aussi rappeler la musique que jouait Tina Turner dans les années 80, on a surtout droit à des chansons pop qui s’interrogent sur les relations humaines. Produit par le compétent Rick Rubin, c’est évidemment très agréable, très radio-friendly aussi (enfin, si les gens écoutaient encore la radio…), mais ça manque de ces moments de bravoure dont nous aurions tous bien besoin en ce moment.
Pire peut-être, on se rend compte au fil des écoutes que Gossip et Rubin tirent ici efficacement sur toutes les ficelles de la nostalgie des années 80, depuis un esprit disco omniprésent – avec cette incroyable citation « Chic » qu’est Give It Up For Love – jusqu’à des recettes sonores qui évoquent tour à tour Orange Juice ou The Cars (le très beau Crazy Again). Les mélodies sont souvent très jolies (Turn the Car Slowly), l’émotion parfois à fleur de peau (Light It Up ballade une profonde mélancolie sur le dance floor), la conclusion de Peace and Quiet – l’un des plus beaux morceaux de l’album – est royale.
Oui, tout cela est indiscutable, et le décalage entre nos attentes – élevées – et l’album – un petit bijou « pop » – que nous avons entre les mains est criante… Il reste néanmoins que Real Power – le mal-nommé (on aurait plutôt vu « Real Pleasure », en fait) relance Gossip parmi les groupes « mainstream » qui comptent. On va voir maintenant ce que Beth Dito et sa team en font sur scène…
Eric Debarnot