La Belgique, qui est décidément en ce moment un incubateur de grands groupes et artistes de Rock, nous a envoyé Whispering Sons pour sauver un Post-Punk bien mal à point à force de ressassement. Hier soir, le Trabendo a été enchanté par Fenne et son gang, qui ont parfaitement redéfini ce que doit être un GRAND concert.
Pour être parmi les plus acharnés détracteurs de la « mode post-punk » qui sévit depuis quelques années et qui s’acharne à faire bégayer l’histoire de la musique, nous ne sommes évidemment jamais à l’abri de belles surprises : après tout, quel que soit le genre musical, le talent, quand il est grand et évident, le transcendera. Et c’est une excellente nouvelle. Car si le troisième album studio de Whispering Sons, encore supérieur aux deux premiers, le laissait quand même attendre, nous n’étions pas totalement préparés au spectacle qu’offre désormais la bande à Fenne Kuppens. Hier soir, au Trabendo, les quelques centaines de personnes présentes – trop peu, et honte aux absents ! – ont célébré la gloire de la musique dans ce qu’elle a de meilleur. Allez, on rembobine, on recommence au début.
Il est 20 heures… et il est difficile d’imaginer une première partie plus à l’opposé de la musique sombre et tendue de Whispering Sons : DO Not DO, ce sont quatre jeunes rigolos qui ont dû être biberons à la variété française bas de gamme (certains amis ont qualifié ça de « soupe »), et ont eu l’idée – il est vrai originale – d’ajouter une touche électro (principalement pré-enregistrée) et des petits délires punks, enfin à la manière punk, avec deux guitares – qu’on n’entendra pas vraiment au cours des 35 minutes d’un set plutôt gentillet. Les protagonistes sur scène sont éminemment sympathiques, la chanteuse aux ailes d’ange n’a certainement pas une grande voix, mais compense par son enthousiasme. On pourrait faire d’ailleurs les mêmes reproches / compliments à l’autre chanteur à la belle coupe afro. Certains titres sont dynamiques et amusants, d’autres anodins, l’énergie sur scène est tangible mais ne se retransmet guère dans la musique. Résultat : une partie du public a franchement détesté, une autre s’est bien divertie…
21 h : ceux d’entre nous qui avaient déjà pu voir Whispering Sons au cours de cette tournée de promotion de The Great Calm, le troisième album sorti il y a peu, nous avaient avertis : Fenne était désormais montée d’un niveau dans sa présence scénique, et l’ouverture calme et majestueuse de Balm (After Violence) nous le confirme. L’intensité avec laquelle Fenne psalmodie les mots de la chanson, comme une incantation (« I dream of nothing but sweetness / So still, so cold / I close my eyes and let go / I float, oh I float / I give in to / The great calm » – Je ne rêve que de douceur / Si immobile, si froide / Je ferme les yeux et je lâche prise / Je flotte, oh je flotte / Je cède / Au grand calme) évoque celle d’un Nick Cave, ce qui n’est pas un mince compliment.
Fenne porte un très grand costume masculin, qui fait d’abord penser à l’accoutrement de David Byrne dans Stop Making Sense, avant qu’on réalise que c’est probablement, avec ses cheveux blonds désormais coupés courts, plus le Bowie des années 80 qui est la référence. Kobe Lijnen quitte les claviers et s’empare de sa guitare pour lancer un Standstill sidérant de splendeur et d’intensité : la précision, la justesse de son jeu de guitare offre une sorte de contrepoint à la voix magnifique de Fenne, les deux « instruments » tricotant des mélodies serrées et des atmosphères réellement lumineuses sur une section rythmique métronomique qui évoque forcément Joy Division.
La setlist de ce soir est, sans surprise, consacrée largement à The Great Calm (avec une seule chanson manquante, Oceanic), avec seulement quelques rare extraits de Several Others et de Image… ce qui signifie moins de moments violents que lors des tournées précédentes. Mais ne signifie pas un set tranquille et ennuyeux : au contraire, la tension, l’intensité rampante sont permanentes, et les quelques explosions sont d’autant plus impressionnantes, plus efficaces. Très rapidement, le public entier du Trabendo est fasciné, très rapidement, le concert vire à l’extase : on reconnaît un GRAND concert quand personne ne parle, quand les regards que les spectateurs échangent entre les morceaux trahissent un mélange muet de stupéfaction et de satisfaction. Whispering Sons sont désormais un groupe im-pres-sion-nant : disons, pour comparer, qu’ils sont ce que Murder Capital promettait de devenir il y a quelques années, avec moins de pathos et d’exhibition sentimentale…
Et puis ils jouent The Talker, ce morceau qui évoque tantôt XTC, tantôt Gang of Four et qui semble presque gai : « Ils sont meilleurs quand ils jouent des chansons tristes », sourit un ami. Pourtant, il suffit d’écouter le texte pour réaliser que ce conte de masculinité toxique n’a rien de réjouissant… « You shoved these words into my mouth / And I keep on chewing until they sound / A bit more like mine » (Tu m’as mis ces mots dans la bouche / Et je continue à les mâcher jusqu’à ce qu’ils sonnent / Un peu plus comme les miens).
Le set se termine au bout d’une heure par l’enchaînement magnifique de l’intense Surface qui fait danser toute la salle dans une allégresse furieuse (on chante : « So close, so close, so close / So close ») et de Try Me Again. Une heure seulement ? Frustration… Mais très vite, le groupe revient pour trois chansons, et un quart d’heure de rappel, avec, au milieu, le (presque) tube qu’est Alone, un autre grand moment, au lyrisme somptueux, et pour terminer, la panique de Waste : « I don’t know if I can! ». Et c’est fini.
Mais ce n’est pas grave : nous avons pris une superbe décharge d’électricité. Et aussi une leçon de pure classe musicale : beaucoup de références, et non des moindres nous sont certes venues à l’esprit, mais dans le fond, ce que nous venons de voir et d’entendre, c’est du pur Whispering Sons. Une référence pour les années, les décennies à venir.
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil