Quatrième volume de la saga norvégienne, inauguré par Les invisibles consacrée à Ingrid BarrØy, Juste une mère nous relate l’arrivée d’un orphelin sur une petite ile norvégienne. Roman naturaliste sur l’existence âpre de ces paysans pêcheurs, c’est à découvrir et même si nous n’aviez pas lu les précédents romans.
Si vous avez découvert l’écrivain Roy Jacobsen en 2017 à la parution des Invisibles en 2017, vous serez ravi de retrouver Ingrid BarrØy son héroïne principale dans Juste une mère ce quatrième volume du cycle consacré à une famille norvégienne vivant sur la minuscule ile de BarrØy au large des Lofoten. Pour les autres (moi le premier) cela sera une immersion glacée dans un univers ilien austère vraiment dépaysant que ce soit par la psychologie des personnages, leur mode de vie, leur environnement géographique tout cela agrémenté d’une intrigue autour des secrets familiaux qui pèsent sur leur existence…et ceci vous poussera sans doute à lire le début de cette tétralogie. L’avantage ou l’inconvénient pour un primo lecteur de Roy Jacobsen, c’est d’être un peu perdu dans ce microcosme familial, ilien et même si cela rajoute à l’excitation de celui-ci à comprendre et élucider ce qui a bien pu arriver par le passé.
Roy Jacobsen, 69 ans, est un écrivain prolifique : plus de vingt-deux romans au compteur dont six ont été traduits en France. Comme on ne le dit sans doute pas en Norvège, c’est un transfuge de classe pour preuve ce qu’il déclarait dans Libération en avril 2019 : « Je suis né dans un milieu ouvrier très pauvre. Ma mère avait été scolarisée trois ans seulement, elle ne savait pas lire. Elle nous élevait, ma sœur et moi, mon père conduisait des engins de chantier. ». Il avoue aussi dans cette même interview qu’il a fait de la prison à 16 ans : « Rien d’héroïque, je n’étais pas un militant politique en lutte contre la bourgeoisie mais un simple voleur, un petit Jean Genet. ». Cet héritage familial en dit beaucoup sur ce que vous trouverez dans Juste une mère un récit naturaliste qui ne doit rien à l’imagination et qui ne joue pas d’un misérabilisme démagogique.
Pour écrire cette saga familiale, Roy Jacobsen s’est appuyé sur l’âpre existence des paysans-pêcheurs qui peuplent le millier d’iles au nord de la Norvège (dont BarrØy) et qui vivent en autarcie. L’héroïne principale, Ingrid BarrØy, est l’une d’eux.
Juste une mère se passe à la sortie de la guerre de 1940. La Norvège a connu l’occupation allemande et cette ombre portée a beaucoup de conséquences sur l’existence des habitants de cette petite ile où comme il se doit en Scandinavie le pasteur « Samuel, le fils cadet du vieux paster Malmberget, bien campé dans les bourrasques, séminariste, théologien et germaniste » y joue un rôle prépondérant.
Comme on peut parfois le conseiller dans un film, soyez attentif dès les premières pages car toutes les imbrications familiales et intra-iliennes y sont décrites précisément et aident à comprendre ce qui se trame en arrière-plan. Nous avons donc Ingrid, femme forte, et Kaja, sa fille née d’une belle histoire d’amour (sujet d’un livre précédent), dont le père a disparu, Barbro sa tante, Suzanne et son fils Frederik, Lars et sa femme Selma, Felix et sa femme Hanna et les enfants Anna, Sofie, Hans et Martin. Le lecteur avoue qu’on s’égare parfois mais c’est peut-être le souhait de l’auteur. Limpide est que les conditions de vie sont rudes, on vit de peu dans la pénombre des lampes à huile, les hommes partent pêcher sur le Salthammer, on cultive quelques lopins de terre pour y récolter des pommes de terre, on y fait paître des vaches dont on exploite le lait vendu à un bateau qui le collecte d’ile en ile.
De ce bateau « citerne » descend un jour Mathias, 5 ans, qui est déposé, abandonné par la personne censée l’élever par suite de la disparition de la mère, Olavia. Ce garçonnet finira par être adopté par Ingrid et nous le suivrons jusqu’à sa primo adolescence.
Ce qu’on lit surtout dans Juste une mère, c’est le récit d’une femme courage face à ses responsabilités, ses questionnements et ses drames. Ingrid BarrØy se pose en pilier de cette communauté en tentant d’en préserver sa spécificité alors qu’on sent poindre le désir de la jeune génération de s’évader de cette autarcie sclérosante et même si c’est pour aller s’échouer dans des « HLM » sur le continent en occupant des emplois subalternes qui sont finalement plus dégradants que de vider des harengs pêchés sur le bateau familial. On doit lire Roy Jacobsen comme un naturaliste qui nous décrit la vie, les tourments de ces paysans pêcheurs norvégiens, leur simplicité, leur pragmatisme, le poids de la communauté ilienne sur l’existence de chacun, les contre-coups de la guerre, le fait que les relations amoureuses qui naissent n’ont rien à voir avec le combat des nations, bref le principal intérêt de Juste une mère est de nous plonger dans un univers et des logiques d’existence qui nous sont inconnues et qui ont disparu il y a finalement pas si longtemps. J’allais sans doute oublier le principal, Roy Jacobsen nous rappelle que tout un chacun a toujours un fardeau secret, conscient ou inconscient, dans son existence et qu’il faut faire nécessairement avec (et évidemment sans l’aide de la psychanalyse à BarrØy…).
Éric ATTIC