Longtemps restée dans les cartons, la captation du concert en tête d’affiche de l’édition 2000 de Glastonbury est une prestation exemplaire de la part de Bowie et ses sbires de l’époque. Un quasi-sans faute de presque deux heures, qui a durablement marqué l’histoire du festival.
Le dimanche 25 juin 2000, il est environ 22h15 quand David Bowie jette discrètement un œil derrière le rideau de scène du festival de Glastonbury, découvrant ce que la postérité estime à un quart de million de fans guettant son set en tête d’affiche, prévu à 22h20. Apparemment nerveux, Bowie se tourne vers Mike Garson pour lui demander d’assurer l’intro seul aux claviers. Une injonction qui ne fait qu’ajouter à la fébrilité du pianiste, qui n’a pas eu à faire ça depuis la fameuse nuit de l’Odeon en 1973. Garson entre donc sur scène plutôt crispé, et le devient très franchement lorsqu’il constate que son clavier n’émet aucun son. Côté technique, c’est le branle-bas de combat pour dénicher au plus vite la cause du problème. Trois longues minutes s’écoulent avant que le signal ne soit rétabli. Garson se met, sans trop réfléchir, à broder autour de Greensleeves sur une cadence énergique. Les autres musiciens prennent la scène alors qu’il termine son improvisation et le groupe entier lance Wild Is The Wind.
Le rugissement du public indique que David fait son entrée à la vingt-cinquième seconde de la seconde piste d’enregistrement. D’emblée, il apparaît très en voix. Sa décision d’en finir avec la cigarette (les biographes estiment qu’il a commencé à s’en passer en 2000 et n’a plus jamais fumé après 2002) n’y est sans doute pas étrangère. Les hauteurs des mélodies semblent moins l’intimider que durant la décennie précédente. Sa tessiture vocale est certes plus basse que durant les années soixante-dix, mais son timbre a retrouvé certaines sonorités cuivrées de cette période. China Girl est livrée dans son arrangement eighties, forcément inférieur à la version d’Iggy, mais redoutable en tant que tube dans un contexte de festival. Changes, que Bowie dit avoir écrite juste avant sa première prestation à Glastonbury en 1971, est détunée d’un ton et demi pour accommoder sa voix. Il ne fait qu’une bouchée des phrasés, épaulé par ses choristes qui bordent la voilure du refrain.
Earl Slick embraye sur le funk robotique de Stay, terrain de jeu idéal pour la batterie de Sterling Campbell, qui matraque le groove avec un plaisir perceptible. Alors que l’intro de Life On Mars? résonne derrière lui, Bowie explique se remettre d’une laryngite et invite le public à voler à son secours en cas de pépin. Il n’aura guère besoin de l’assistance, car cette interprétation mature du classique de 1971 passe comme une lettre à la poste. Il présente Absolute Beginners comme « sa préférée de sa carrière des années 80 » avant d’en livrer une version pleine de panache. Ashes To Ashes, tube intemporel s’il en est, fonctionne aussi bien qu’au premier jour. Il en va de même pour Rebel Rebel et son riff inoxydable, que Bowie disait ne s’être jamais lassé de jouer sur scène… et cela s’entend. Le refrain de Little Wonder est un missile rêvé pour une soirée de festival et Golden Years fait un retour fracassant dans la setlist. Fame est un autre classique qui n’a pas pris une ride, là où All The Young Dudes a acquis avec les années un côté désuet vraiment charmant. Son refrain, l’un des plus anthologiques de l’histoire du glam, est parfaitement à sa place à Glastonbury. Autrefois métamorphosée en séquence synthétique dans les années quatre-vingt-dix, The Man Who Sold The World est à nouveau jouée dans son arrangement d’origine, où Bowie apparaît en pleine maîtrise de sa voix.
Des halètements de locomotive annoncent l’entrée en gare de ce morceau de bravoure qu’est Station to Station pour dix minutes de rock cubiste et mutant, que Bowie chante magnifiquement. Jouée en dessous de sa tonalité originelle, Starman sera la première (et avant-dernière) inclusion au menu de Ziggy. Earl Slick rend joliment hommage à feu Ronson, dont il duplique le solo final avec une application exemplaire. Bowie confie sa joie d’être de retour sur les planches de Glastonbury après une trentaine d’année, et se plaint de transpirer… avant d’admettre qu’il aime trop sa veste pour daigner la poser. Avec ses chœurs et ses synthés, Hallo Spaceboy mobilise le groupe tout entier à plein régime pour une performance d’une splendide intensité. La ligne de basse de Under Pressure fait huler le public et Gail Ann Dorsey démontre à nouveau la solidité absolue de ses interventions vocales. Le second couplet, pourtant riche en aigus carillonnants, semble à peine la faire ciller.
Bowie remercie son public et quitte la scène. Le tonnerre d’applaudissements qui s’ensuit donne évidemment lieu à un rappel, qui consistera de pas moins de quatre titres. L’intro légendaire de Ziggy Stardust relance les festivités avec ferveur, et Bowie semble prendre beaucoup de plaisir à revisiter un passé désormais lointain. « Heroes » est comme toujours une composition stratosphérique, sur laquelle il se donne corps et âme au micro. Rusé, le groupe lance une jolie petite grille d’accords acoustiques pour amorcer Let’s Dance, dont le groove massue fait subitement irruption après un premier refrain. L’ultime offrande de la soirée sera finalement I’m Afraid Of Americans, un choix audacieux mais payant, tant les musiciens apparaissent heureux de se lâcher sur son rythme de broyeuse industrielle. Slick fait hurler le feedback, Campbell enclume avec une précision jouissive et les choristes dynamitent l’incantation angoissée du refrain. Alors que le fade-out engloutit la clameur des festivaliers, une seule sensation s’impose. On aurait tout donné (ou presque) pour y être. Malgré le stress de son entrée, Mike Garson est formel : ce concert est son souvenir scénique favori de sa collaboration avec Bowie.
Mattias Frances
Super concert mais la veste du début……mon dieu…..On dirait un costume pour jouer dans Django….Bowie balance des lives en rafale sur la période. On attend avec impatience une telle fréquence de publication pour les concerts des années fastes des Seventies. Pensée émue pour le Boston de 72….
@Charlie
Moi je la trouve très chouette, cette veste ^^ C’est Alexander McQueen, quand même…
Il y a pas mal de bootlegs disponibles de la période seventies. Le problème, c’est que la qualité sonore en est… variable.
Pour les Seventies, je n’écoute plus les pirates que d’une oreille tant le son est compliqué. Il y a quand même le concert de Boston en 1972 dont trois titres ont été sortis avec un son de folie par Ryko et un autre en 2003 (sur un cd bonus d’une édition anniversaire d’Aladdin Sane). Je comprends pas pourquoi on attend encore
@charlie
C’est quand même fou la quantité d’enregistrements des Spider From Mars qui traînent encore dans la nature… Et c’est vrai que ça vaudrait vraiment le coup que quelqu’un en sorte des versions nettoyées. J’ai des copies d’une date américaine de fin 1972 qui sonnent bien, et un live japonais dont le son est malheureusement assez médiocre. Arf.
Dire qu’il y a un peu plus de 20 ans, Bowie était une des figures majeures de la scène pop mondiale…. Le temps semble avoir filé tellement vite depuis. Heureusement que des captations de ce type nous permettent de retrouver d’une certaine manière ces vibrations propres à ces époques où de vrais maestro enchantaient la planète pop. Pour ce qui est de ce concert en particulier, je le trouve comme vous, magistrale. J’aime vraiment le Bowie de cette période et je m’avance peut-être un peu en disant cela mais je trouve que sa voix n’a jamais été aussi belle. Ces graves qui côtoient avec des notes plus hautes récemment retrouvées comme le suggère l’article… cette détente vis à vis de son ancien répertoire qu’il semble plus que jamais heureux de jouer… et cette classe… Ok, je mets cette veste dans la rue, c’est la cata mais Bowie quoi… Il en jette avec, qu’on le veuille ou non ;) Je suis peut-être un peu groupie et c’est l’effet scène qui y contribue bien sûr mais lorsque je vois cet homme en action, toute sa personne me semble grâce. Merci à Bowie de nous avoir offert ces lives d’anthologie de la fin des années 90, tout début 2000’s. Comme quoi, il était encore loin d’être une vieille icône rock à placer au musée et la suite de sa discographie allait décidément nous le prouver une bonne fois pour toutes !