Revoir After Hours aujourd’hui, c’est à la fois se replonger dans le New York des années 1980… et découvrir les premiers signes de l’énergie formelle des Scorsese à venir.
Suite aux protestations religieuses en amont du projet, Paramount renonce à produire La Dernière Tentation du Christ. Scorsese décide alors de se tourner vers un projet à budget plus modeste. Il découvre le scénario qui deviendra After Hours grâce à son avocat Jay Julien. Ayant vu son court métrage Vincent, la productrice Amy Robinson et l’acteur Griffin Dunne, détenteurs des droits, avaient prévu que le film soit tourné par Tim Burton. Ce dernier se retira en apprenant l’intérêt scorsesien.
Le pitch ? Dans un café new-yorkais, Paul Hackett (Griffin Dune) modeste informaticien, fait la connaissance de Marcy (Rosanna Arquette). Ils sympathisent – thank you Henry Miller ! – et elle l’invite chez elle. C’est le début d’une nuit mouvementée.
New York années 1980 donc… Cette ville qui ne dort jamais. Ses jeunes cadres dynamiques. Son insécurité pas encore réduite par Giuliani. Ses serveurs excentriques. Ses artistes travaillant dans des lofts situés dans des immeubles miteux. Ses couples homosexuels 100% cuir. Ses clubs alternatifs peuplés de punks. Ses habitants de quartier s’improvisant enquêteurs et flics lorsque des immeubles sont régulièrement cambriolés. Un monde semblant appartenir à l’Antiquité vu d’aujourd’hui, non ? Une comédie américaine se passant au cours d’une seule nuit avec des personnages hauts en couleurs, une rencontre entre un cadre timide et une femme un peu excentrique qui prend les devants avec les hommes, tellement années 1980 ? Après tout le cinéma sert aussi à se projeter dans un autre lieu, à une autre époque.
Oui mais… After Hours dépasse le statut de simple capsule temporelle par sa mise en scène. After Hours est la première collaboration entre Scorsese et Michael Ballhaus, chef opérateur de plusieurs grands Fassbinder et futur chef-opérateur des Affranchis. Et cela se voit dès l’ouverture, avec une caméra sillonnant le bureau avec une énergie et un brio annonçant le magnum opus mafieux du cinéaste. La scène de l’excès de vitesse du taxi lance quant à elle l’hypothèse que Scorsese aurait pu être un grand cinéaste d’action… ou de bagnoles. Le travelling dans le bar au son de You’re Mine du duo doo-wop Robert & Johnny est le type de travail de mise en scène/montage sonore reproduit à plusieurs reprises dans Les Affranchis.
Même lorsque le film se calme, il ne perd pas son caractère enlevé. Parce qu’il n’y a pas forcément besoin de découpage frénétique permanent quand le rebondissement d’une odyssée nocturne ou un morceau écouté prend le relais. D’autres comédies, d’autres films de genre tenteront de retrouver ce type d’énergie. Ils y arriveront parfois. Mais souvent au prix d’une part d’effets de style clinquants ici absente.
Le film comporte cependant un arrière-plan un peu moins joyeux. Déjà parce qu’il rejoue de manière triviale le bon vieux schéma hitchcockien/langien du faux coupable. Et parce que derrière l’effervescence affleurent suicides, viols, solitude affective… Et tout le monde déclare détester son travail. Mais faut bien ça pour arrondir les fins de mois dans une ville où des taudis sont alors loués pour un montant indigne, non ?
En dépit de critiques positives, le Box Office ne sourira toujours pas à Scorsese. Le film décrochera un Prix de la mise en scène cannois mérité. Il permit à Scorsese de retrouver un désir de continuer à faire du cinéma alors éteint par les difficultés de concrétisation de son grand projet christique. Il n’est pas interdit de penser que ce petit film fauché a semé les premières graines des chefs d’œuvre des années 1990.
Ordell Robbie