Biographie de la « superstar » transgenre de la Factory que fut Candy Darling, Walk On The Wild Side est surtout une belle histoire d’amitié, qui nous touche au cœur.
Il est amusant et très instructif d’enchaîner la lecture de ce Walk On The Wild Side – Une amitié avec Candy Darling après celle du The Velvet Underground de Shadmi : voici deux biopics consacrés à la même « scène », celle du New York bouillonnant des mid-sixties qui tournait largement autour d’Andy Warhol et de sa Factory, et qui apportent un éclairage différent, et complémentaire sur ce qui s’y est joué d’essentiel, et qui impacte encore notre époque.
Différent, car le livre de Julian Voloj – auteur de BD d’origine colombienne né en Allemagne, également photographe et écrivain – et Søren Mosdal – dessinateur danois – ne parle pas de musique, mais d’identité et de genre. Le point de départ de cette biographie était de s’intéresser à Candy Darling, que l’on peut estimer être la première « star » (même si ce fut au sein du microcosme de l’avant-garde new-yorkaise) transgenre : née James Slattery au sein d’un foyer désuni où son identité de petite fille fut violemment – et éternellement, la conclusion du livre le confirme – rejetée, Candy Darling fut même qualifiée de « superstar » par Andy Warhol qui, comme on le sait, adorait s’entourer de gens différents, brillants et provocateurs, avant de les jeter comme des mouchoirs usagés. Aujourd’hui, et c’est évidemment à cela que renvoie le titre de cette BD, Candy Darling n’est plus guère dans la mémoire populaire que l’héroïne trash d’un couplet assassin du fameux Walk On The Wild Side de Lou Reed : « Candy came from out on the Island / In the backroom, she was everybody’s darling / But she never lost her head / Even when she was giving head » (Candy venait de Long Island / Dans les coulisses, elle était la chérie de tout le monde / Mais elle ne perdait jamais la tête / Même quand elle taillait une pipe – avec ce jeu de mot intraduisible autour du mot « head »). Lou Reed ayant été – c’est notoire – une parfaite tête de cochon, il n’a d’ailleurs pas toujours été aussi brutal avec Candy, pour laquelle il écrivit l’un des plus beaux morceaux du Velvet Underground, Candy Says, au texte bien plus proche du sujet dont traite le livre de Voloj et Mosdal : « Candy says : I’ve come to hate my body / And all that it requires in this world » (Candy dit : J’en suis venue à détester mon corps / Et tout ce qu’il exige dans ce monde)…
Mais ce qui était initialement le projet d’illustrer la quête d’identité et le changement de genre à travers le beau personnage de Candy Darling, est devenu quelque chose de plus, lorsque Voloj a pu se pencher sur les documents de l’époque, et surtout écouter des cassettes enregistrées de la voix de Candy, sauvées de la destruction à sa mort par son plus proche ami, Jeremiah Newton. Walk On The Wild Side, s’il parle un peu de la Factory et de la monstruosité inhérente au génie de Warhol, et presque pas de Lou Reed et du Velvet Underground, a dévié de sa trajectoire, et s’est focalisé sur l’amitié indéfectible entre Candy et Jeremiah, jeune homme gay dont la vie – certes plus discrète et moins dramatique – fait écho à celle de la « superstar » transgenre : mêmes origines dans la classe moyenne, même rejet violent de la part de sa famille, mêmes galères dans le New York décadent et misérable de l’époque, mêmes affirmations identitaires… Et c’est clairement là le coup de génie du livre, qui lui permet de délaisser la pure biographie factuelle, et d’aller vers l’émotion, qui culmine dans les dernières pages…
… et donc de faire que ces personnages, pourtant si loin de nous désormais dans le passé, et leur histoire, si belle et si triste, nous touchent au cœur.
Eric Debarnot
J’attends une telle bande dessinée sur le parcours de Rachel, partenaire de Lou Reed durant quelques années de déglingue et égérie de bons albums. Il y a quelque chose d’amer dans cette destinée underground de ce personnage androgyne à la fin tragique et solitaire. Au delà du cirque warholien.