Puisque chaque semaine nous apporte notre dose d’excellents nouveaux albums de Rock français, réjouissons-nous encore, cette fois avec le second album des Tourangeaux de Rank-O, Monument Movement, un disque aussi inclassable que parfaitement évident !
Ce n’est pas qu’on se fatigue – au contraire, même – mais trois semaines consécutives qui voient la sortie d’albums français que l’on a envie de qualifier de « majeurs », et qui ne rougissent aucunement quand on les compare à ceux de groupes anglo-saxons « établis », on en arrive à être à court d’épithètes pour célébrer la vitalité de la scène Rock hexagonale de 2024. Ne craignons donc pas de nous répéter, après les gifles successives du Chester Remington et du Dynamite Shakers, on ne sait plus quelle joue tendre aux Tourangeaux de Rank-O, qui sortent le second album, Monument Movement (après un premier album, De Novo, en 2022 et un premier EP éponyme en 2019).
Rank-O, avouons, à notre grande honte, que nous ne les avions pas écoutés avant, alors que De Novo avait été chroniqué de manière élogieuse dans ces mêmes pages. Et alors qu’ils font le genre de musique que nous adorons littéralement : disons quelque part entre Devo (vocalement en particulier), les Talking Heads des débuts (rythmes épileptiques sur lesquels on peut danser), avec une petite dose de Pixies (la référence pour des gens qui sont nés dans les nineties, forcément). Et puis, pour sonner plus contemporain, il y a chez Rank-O cette folie généreuse qui vient du Rock progressif, et qui en fait de lointains voisins de nos chers King Gizzard & The Lizard Wizard, mais aussi ce goût pour la pop ludique que l’on tort dans un geste baroque comme le font MGMT lorsqu’ils sont en forme. De toute manière, on est prêts à parier que, si c’est ça qu’on croit y entendre, eux viennent probablement de tout un tas d’autres endroits.
Et, évidemment, l’important n’est pas d’où on vient, mais où on arrive et où on va. Et comment on évolue. Car par rapport à De Novo, Rank-O ont mûri, sonnent de manière un peu moins brutale (même si on imagine bien qu’en live, ce genre de musique doit donner lieu à de bons délires), et ont élargi leur spectre sonore – à la manière de King Gizzard, justement – tout en soignant plus encore l’aspect mélodique de leurs morceaux, qui derrière leur extravagance affirmée, sont furieusement addictifs. Monument Movement, ce sont sept chansons excitantes, qui ne laissent jamais l’énergie retomber, et un morceau fleuve de plus de sept minutes, Talking Monument.
For Every Blow lance la machine dans une exubérance bien venue, qui nous met immédiatement de bonne humeur. Hotel Club Paradisio, avec son chant outré à la manière d’un Mark Mothersbaugh, joue sur des bizarreries électroniques et une répétitivité joueuse qui n’exclue pas la joliesse mélodique : c’est déjà un titre majeur, qui pose Rank-O comme un groupe différent, qui vise plus loin que la satisfaction immédiate de nos pulsions rock’nrollesques. Celebration, sur un riff de base typique du post-punk, fait preuve d’une détermination à nous faire nous trémousser, en chantant en chœur un refrain lysergique. Meadows semble d’abord moins privilégier l’efficacité, mais offre des décollages quasiment lyriques, combinant accélération rythmique et extase psychédélique : six minutes trente de bon délire !
Springs est la chanson la moins rapide de l’album, ce qui nous permet d’apprécier une mélodie facétieuse. Barking Thing marque un retour vers les jeux rythmiques, les ruptures de ton, les audaces formelles, alternant un spoken word impérieux et un chant plus charmeur. Rebirth est un autre titre irrésistible, pur bonheur de « meccanik dancing » comme Andy Patridge en proposait à ses débuts, avec une intervention de saxo free jazz, et de magnifiques envolées qui enchantent littéralement : Rank-O sont GRANDS !
Talking Monument, finalement, a été conçu comme une pièce unique, plus ambitieuse et plus complexe… progressive peut-être même, pour refermer l’album de manière étonnante : de l’expérimentation rythmique, sonore, des dérapages free-jazz, du chaos, du rêve quasi planant, pour que l’inconfort initial de la cacophonie assumée s’épanouisse dans un sentiment de cocon coloré. Qui ouvre une voie nouvelle pour le futur du groupe : le post-punk des débuts donne peu à peu naissance à une musique riche et ambitieuse. Qui laisse formidablement bien présager du futur de Rank-O...
Eric Debarnot